Les raisons qui poussent une personne à formuler une demande d’analyse recouvrent une multitude de variantes : des échecs dans la sphère affective qui s’accumulent sans cesse, des peurs injustifiées qui freinent et limitent nos propres actions, la présence de symptômes qui empêchent l’atteinte de certains objectifs, etc. Nous nous arrêtons ici, car la liste est longue. Certains de ces états psychiques se retrouvent dans différentes modalités de fonctionnement psychique, tandis que d’autres caractérisent seulement certaines modalités de fonctionnement psychique. Par exemple, les échecs dans la sphère affective qui s’accumulent sans cesse peuvent se retrouver dans une modalité de fonctionnement hystérique ou obsessionnel, tandis que l’obsession envers la propreté se retrouve surtout dans une modalité de fonctionnement obsessionnel. Les raisons qui poussent les personnes à formuler une demande d’analyse sont, plus ou moins, conscientes, en revanche les modalités de fonctionnement psychique sont complètement inconnues. Une analyse devrait permettre de familiariser avec sa propre modalité de fonctionnement psychique qui est le tissu où se sont nouées les raisons qui poussent une personne à formuler une demande d’analyse. Après cette brève introduction, je vais essayer de dessiner les contours, en grandes lignes, des effets d’une analyse.
Au début, le patient se trouve pour la première fois, si c’est le cas, à raconter des choses personnelles à une autre personne. Elles contiennent plusieurs contenus, tels que : problématiques personnelles, récits qui investissent le passé, le présent, le futur, etc. Les premiers effets bénéfiques apparaissent : la souffrance diminue. Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce soulagement et ces effets thérapeutiques. Cependant, il est possible de mettre l’accent sur une raison spécifique, notamment sur l’effet libératoire du pouvoir de la parole. A ce stade, il y a des personnes qui, ayant obtenu ce à quoi elles s’attendaient, décident soit d’interrompre le traitement soit de continuer.
Pour celles qui continuent, des rechutes ne tardent pas à venir et un attachement singulier à leur propre analyste se met en place. Il y a un phénomène typique qui se manifeste : le patient répète des modalités de fonctionnement psychique indésirables. Les réactions, teintes d’agressivité, se traduisent en : à quoi ça sert faire cette analyse, l’analyste ne comprend rien, je continue à ne sentir pas bien, etc. C’est un tournant important de l’analyse et, en fonction de son issue, nous obtenons des effets analytiques proprement dits. C’est aussi le point fort de la psychanalyse se différenciant de tout autre approche. Le cadre analytique – silence de l’analyste, séances ponctuées, divan, interprétations, élaborations, etc.- est conçu de telle sorte que le patient, qui devient ainsi analysant, se replie sur soi et entame un travail psychique. Il est aussi conçu de telle sorte que, au fil du temps, l’analysant délègue de moins en moins à l’analyste.
Maintenant, pour rendre plus accessible ce je voudrais expliquer au public sensé n’être pas rompu aux concepts psychanalytiques, je continue mes explications sous forme imagée. Faites l’effort de rentrer dans les descriptions suivantes. Vous n’êtes pas propriétaire d’une maison, mais d’une ville entière ( comme Namur, Gand, etc.). Bien que certaines parties de cette ville étaient présentes dès votre naissance, la plupart ont été bâties au fil du temps que vous avez grandi. Maintenant que vous êtes adultes, vous occupez seulement quelques bâtiments et, en conséquence, vous parcourez seulement certaines rues ou avenues. Quelques fois, il vous arrive aussi d’accéder à d’autres bâtiments et parcourir d’autres rues. Cependant, il y a des quartiers entiers qui vous sont complètement inconnus. Lors de votre parcours analytique, vous serez contraint par vous-même de vous y aventurer. Quelques fois, vous devrez rebâtir de vieux immeubles après les avoir visités, apprendre la signification de nouveaux panneaux, et apprendre à ne pas vous s’engager dans des rues sans issues. Mais, tout cela ne suffit pas. Malgré vos tentatives, vous continuez à vous retrouver dans des rues sans issues, dans des bâtiments que vous n’arrivez pas à situer par rapport à votre quartier. Cela vous conduit à parcourir plusieurs fois les mêmes trajets parce que vous n’avez pas une vue d’ensemble, une cartographie de la ville. Cette répétition vous procure encore de la souffrance. En topologie, nous disons que vous êtes dans une position intrinsèque, vous vivez la ville de l’intérieur. Au fur et à mesure que vous parcourez les quartiers, vous en découvrez un où vous trouvez une plate-forme où il y a un hélicoptère que vous pouvez piloter. Grâce à ce moyen, vous pourrez survoler la ville et, petit à petit, vous faire un plan . En topologie, nous disons que vous êtes dans une position extrinsèque. Quand vous redescendez et refaite un tour dans votre ville, s’il vous arrive de vous perdre vous pourrez retrouver le chemin de retour plus facilement grâce à la cartographie que vous avez commencez à dessiner. Vous pourrez aussi éviter de vous retrouver dans des rues sans issue. En terme moins imagé, vous serez beaucoup plus maître chez vous, les répétitions de situations qui vous ont occasionné tant de souffrance seront moins présentes, et, finalement, vous pourrez réaliser plus facilement vos souhaits. Grâce à ce battement entre une position intrinsèque et une position extrinsèque, vous prendrez connaissance de la modalité de fonctionnement de votre psychisme. Vous prendrez connaissance de votre structure. Au fur et à mesure que vous procédez dans ce battement, l’analyste devient de moins en moins nécessaire. A un moment donné, vous continuerez tout seul.
Quels sont les effets d’une analyse ? Le lecteur peut extraire de ce que j’ai décrit quelques réponses. Je vais personnellement en extraire quelques-unes. Les effets d’une analyse sont : effets thérapeutiques – diminution de la souffrance -, découverte de zones inconnues de soi-même, reconstruction de certains aspects de cette zone inconnue, disparition de comportements qui se répètent, on se retrouve mieux dans ce que l’on fait et ce que l’on veut faire, on familiarise avec sa modalité de fonctionnement psychique et sa propre structure, on ne suppose plus quelqu’un d’extérieur à nous pouvant connaître notre psychisme parce que dorénavant on y accède tout seul.
Avant de conclure, je voudrais répondre à une dernière question : y-a-t-il une terre promise ? Qui occupe la position de l’analyste ne peut en faire la promesse, parce que le déroulement d’une analyse dépend de trois facteurs : de l’analyste, du travail de l’analysant et de la structure psychique de celui-ci. Un psychanalyste doit se limiter à accompagner une personne dans son propre cheminement. A chacun de le parcourir jusqu’au bout et de trouver sa propre terre promise.
Bruxelles, le 1 décembre 2007