Bien sûr la psychanalyse se soucie de guérison.

Il y eut bien dans les années soixante quelques intellectuels subjugués par Lacan qui se lancèrent dans l’aventure psychanalytique pour découvrir ce qu’il y avait dans leur inconscient et les futurs psychanalystes doivent toujours le faire dans le cadre de leur formation. Mais, d’une façon générale, ceux qui sont prêts à consacrer à l’analyse beaucoup d’énergie, de temps, d’argent, ceux qui acceptent de se remettre en question au lieu de continuer à attribuer toutes leurs difficultés au monde extérieur, le font parce qu’ils souffrent et espèrent que leurs troubles seront atténués, sinon guéris par l’analyse. Le psychanalyste accepte leur demande, s’il pense pouvoir y répondre.

Reste à savoir comment le psychanalyste envisage la guérison. Le patient voudrait être soulagé de ses symptômes le plus rapidement possible et c’est ce que lui proposent les autres thérapeutiques, la médecine avec ses médicaments, les thérapies cognitivo-comportementales par des façons de négocier avec les symptômes, des « trucs » qui en font disparaître momentanément un bon nombre. Le fait même d’entreprendre une thérapie, quand le patient a confiance dans le thérapeute qu’on lui a indiqué, médecin, comportementaliste, psychanalyste… naturopathe ou guru de toutes sortes de sectes, suffit souvent à faire disparaître le symptôme. C’est ce que les psychanalystes attribuent au transfert positif : le thérapeute est celui qui est supposé vouloir du bien et avoir le pouvoir de faire du bien.

 

Quand le patient souffre d’angoisse ou de dépression il sait « pourquoi », c’est à dire qu’il reconnaît le traumatisme psychologique qui a déclenché ses troubles : il a été licencié et se retrouve au chômage ; elle a été abandonnée par son compagnon ou voudrait le quitter pour un autre sans oser le faire ; son père ou sa mère vient de mourir… Quand le patient souffre d’une phobie du métro, du besoin maniaque de vérifier ce qu’il vient de faire, quand sa vie est désorganisée parce qu’il confond ce qu’il imagine avec la réalité ou se précipite sans réfléchir dans l’alcool, la drogue ou d’autres actes qui le calment, quand des troubles physiques sont au premier plan, boulimie, allergies, fatigue, mal de tête ou mal de dos permanents, etc, il est plus difficile de rattacher ses troubles à leur cause.

 

Mais toutes les personnes qui vivent des événements difficiles ne plongent pas dans la dépression ou ne sont pas paralysés par l’angoisse ou d’autres troubles. Quand les troubles sont importants, c’est que le traumatisme récent vient se greffer sur une fragilité antérieure, des traumatismes de l’enfance ou, au contraire, une enfance tellement choyée qu’on n’avait pas imaginé que quelqu’un, quelque chose d’essentiel pour soi pourrait manquer.

 

La psychanalyse s’attache, elle, à retrouver le lien entre le problème actuel et ce qui a pu fragiliser depuis l’enfance. Ce lien est souvent devenu inconscient et il faudra longtemps pour le retrouver, longtemps pour que le patient réalise que ce qu’il vit dans le présent n’est pas la répétition de ce qu’il avait subi dans le passé sans pouvoir s’y opposer, et qu’il peut donc trouver une solution à son problème actuel. S’il réussit à faire ce trajet, l’angoisse, la dépression et les symptômes qui lui servaient à les masquer n’ont plus de raison d’être, de même que le rejet sur les autres ou sur son corps de la cause de sa souffrance Et il peut guérir.

 

Mais il arrive aussi qu’au moment où la psychanalyse met à jour ce qu’on voulait ignorer, les symptômes augmentent momentanément ; il faut surmonter l’épreuve sans se laisser décourager et parfois il peut être utile de se faire aider par des antidépresseurs ou des anxiolytiques. Les rapports entre la psychanalyse et la guérison sont, on le voit, complexes. Quelquefois la disparition des symptômes survient tout de suite comme avec toutes sortes d’autres thérapeutiques, quelquefois ils réapparaissent alors qu’on les croyait définitivement vaincus. Mais si l’analyse atteint son but de dévoiler les désirs contradictoires et les conflits intérieurs, le sujet trouve de meilleures solutions que ses symptômes pour vivre et la guérison sera beaucoup plus durable. Et quand il sent revenir ses troubles, il est devenu capable de se demander « pourquoi est-ce que ça m’arrive maintenant ? » et de ne pas se laisser déborder comme avant.

 

Évidemment, tout dépend du symptôme et de son ancienneté. Il est plus facile de le vaincre s’il est récent et léger que s’il est enraciné depuis longtemps et que toute la vie est organisée en fonction de lui. La psychanalyse ne guérit pas tout.

 

Mais qui pourrait prétendre tout guérir ?

 

Paris, le 17 septembre 2005