Le rêve est une formation de l’inconscient comme le lapsus, l’acte manqué ou le symptôme. A ce titre de formation de l’inconscient il va être déchiffrable dans le travail analytique. La cure analytique permet de diminuer la souffrance, lever le symptôme et dépasser l’angoisse. Elle s’effectue avec l’aide de l’analyste dont le désir vise à déchiffrer la modalité de jouissance de l’inconscient de son analysant.

Le rêve s’écrit, c’est la découverte qui permit à Freud d’inventer la psychanalyse. Dès 1900, il compare le rêve à une langue fondamentale, touchant à la vie collective des hommes, langue qui nous montre la nature du travail de l’inconscient, celui de viser à la réalisation d’un désir inconscient. « L’interprétation des rêves est la via régia, la voie royale, menant à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique. »[1] Écrit-il dans son livre L’interprétation des rêves, livre mal accueilli à l’époque car dérangeant. L’inconscient est le siège des pulsions innées, des désirs et des souvenirs refoulés, c’est la partie la plus archaïque de l’appareil psychique. La finalité du rêve est pour Freud l’accomplissement d’un désir. Pour lui, l’enfance engramme la mémoire et lui fait subir la répression, toutes deux repérées dans les cures et exprimées par les créateurs ; c’est de ce même processus que fait partie le rêve, un extraordinaire travail de mise en scène dans notre théâtre intérieur, dans lequel prédominent les représentations visuelles. Freud omettait l’importance du langage dans l’organisation de cette représentation visuelle.

Le travail du rêve produit un savoir montré non transmis par le discours, une représentation en image, dont le texte latent ne demande qu’à être lu à haute voix pour être connu. Freud a mis en évidence deux mécanismes principaux au travail du rêve : un mécanisme de condensation et un mécanisme de déplacement, élaborant un contenu manifeste, évident, et un contenu latent. L’interprétation des rêves nous introduit non pas à la psychanalyse, mais à l’inconscient relevait Didier Anzieu. Elle nous y introduit dans un ordre, celui de l’organisation psychique, mais aussi dans un certain désordre, celui des désirs inconscients. Le langage du rêve, sa logique, que Freud comparait à une langue fondamentale, utilise une présentation en images de pensées abstraites, dans une symbolique que Karl Abraham[2] attribuait par excellence à la symbolique elle-même de l’inconscient. L’élaboration du rêve est une publication originaire dans une symbolique commune à tous, c’est-à-dire dans l’existence de modes de représentations non propres à chaque individu mais communs à tous les individus dans une même langue. Objecter cette place de la symbolique n’est plus un débat d’actualité, il s’agit actuellement d’en observer une extension plus large. Lacan a regretté que Freud fasse tant de place au symbolique au détriment du jeu des associations signifiantes qui surgissent dans la libre association de la parole. Lacan désigne dans cette représentation en images, un simple support de chiffre « métaphoro-métonymique » de l’inconscient. Théorie datant de sa première élaboration du travail de l’inconscient, coïncidant avec l’introduction de la métaphore et de la métonymie. Travail que reprend Gisèle Chaboudez dans son ouvrage L’Equation des rêves.[3]

Ces quelques notions de théories du travail du rêve pour dire que ce travail du rêve va accompagner le travail psychique mis en mouvement dans la cure analytique. Travail qui va se dérouler en spirale, de façon à mettre à jour le fantasme et l’objet du désir ; ouvrir le sujet à la cause de son désir, lui permettant de se réapproprier son histoire.

Les temps importants de cette cure sont ponctués par des rêves que l’analysant ressent comme marquants. Freud avait situé le point de départ des rêves dans une certaine énergie psychique liée à des représentations refoulées provenant du ça et maintenues actives. Le contenu manifeste, superficiel du rêve, va en être le déguisement. Le ça est dans l’inconscient, il est immuable, c’est le réservoir des pulsions. C’est l’instance la plus primitive, réservoir de la libido, des désirs sexuels, de domination, de maîtrise, de savoir, de jouissance. Le ça cherche la satisfaction immédiate. Les rêves sont donc en relation avec le refoulé qui va être à mettre à jour à la conscience. Jones disait que seul le refoulé à besoin d’être rêvé, Hanna Segal rajoute d’une manière très juste « seul le refoulé à besoin d’être rêvé. » Elle écrit aussi : « Le désir fondamental mis en jeu et accompli dans le rêve est celui du désir du moi de résoudre les conflits »[4]. Le travail du rêve est pour elle un travail d’élaboration, le désir dans le rêve est celui de résoudre les conflits, le patient peut le réactualiser vis à vis de l’objet externe dans le cadre de la relation transférentielle.

Alors, écrire ou non ses rêves entre les séances ? La cure analytique ne se centre pas sur cette formation de l’inconscient. Certains analysants noient leur discours dans un flot ininterrompu de rêves denses, forme de résistance ou modalité de jouissance. Certains analysants ont le besoin d’écrire pour eux ces rêves, de façon à les auto analyser avant la séance. Ce matériel psychique leur appartient. L’écriture c’est du réel disait Lacan. Certains les notent de façon à les amener en cadeau à l’analyste dans la relation transférentielle.

Le rêve n’est pas tout à déchiffrer, l’association libre l’exclut ; le symptôme n’appelle pas le déchiffrage car ce qui est visé pour que l’analyse opère est le fantasme sous jacent. Mais l’interprétation ouvre à du nouveau, peut faciliter le déploiement du fantasme, amener à de nouvelles représentations. Le rêve comme le symptôme utilise des « conditions de figurabilité » pour transformer les représentations de mots en représentations de choses, constate le psychanalyste chinois Huo Datong. Il pose une nouvelle hypothèse, celle de « L’inconscient structuré comme l’écriture chinoise », dans laquelle l’écriture inconsciente du rêve se structurerait comme dans l’écriture du caractère chinois. L’interprétation effectue le trajet inverse, de la représentation de chose à la représentation de mot.

Laissons libre la réponse à chaque analysant et à chaque singularité de cure.

Paris, le 24 mai 2008.

[1] S. Freud, La Tramdeutung 1900,trad.franç.,1067,p.517 .

[2] K. Abraham, Œuvres complètes, Tomi I, Payot, 2000.

[3] G. Chaboudez, L’Equation des rêves, Denoel, 2000.

[4]H. Segal, Le Rêve et le Moi, Journal de la psychanalyse de l’enfant, n°28.