"C’est une première" dans le pays, s’exclame le très sérieux journal marocain L’Économiste, qui commente la tenue, le 17 décembre, d’un "café psychanalyse, à Marrakech, dans un riad, à l’initiative de la Société psychanalyste marocaine (SPM) et de la librairie Hassoune".
Animé notamment par le psychanalyste français Jean-Pierre Winter*, cette première rencontre avait pour objectif de faire connaître ce domaine "qui reste assez obscur pour le grand public", note L’Economiste, qui, dans la foulée, s’adonne quelque peu au prosélytisme. "Pour les non-initiés, la psychanalyse est une méthode d’investigation psychologique visant à élucider la signification inconsciente des conduites, et dont le fondement se trouve dans la théorie de la vie psychique formulée par Freud. Depuis ce temps, elle s’est donnée pour mission d’accompagner l’évolution de la société et de rester vigilante quant aux différentes incidences sur l’être humain."
Au cours de la réunion, Jean-Pierre Winter "s’est penché sur la relation entre la psychanalyse, libératrice de la parole, et la démocratie. Pour cela, il avance une image selon les méthodes freudiennes. Il transpose le ‘ça’, réservoir de pulsions, le ‘moi’ et le ‘surmoi’ qui jugent les actes à l’image d’un Etat démocratique." D’après la théorie avancée par le psychanalyste, "les pulsions peuvent représenter le peuple, parfois non contrôlé, le ‘moi’ le Parlement des pulsions et le ‘surmoi’ l’Etat". Et, ajoute-t-il, "les pulsions exigent d’être satisfaites, l’Etat veut y mettre le holà et le Parlement devient un intermédiaire, limitant parfois les dérives".
La psychanalyse a-t-elle un rapport direct avec la démocratie ? s’interrogent les participants. De fait, relate L’Economiste, selon les psychanalystes présents lors de ce premier débat, "seul un Etat démocrate permet l’expansion de cette doctrine, liée aussi étroitement au régime. De même que cette dernière n’aurait pas pu voir le jour dans un régime anarchiste où les pulsions auraient primé."
Au Maroc, "la psychanalyse est pratiquée dans un cercle très fermé et d’une façon individuelle. Mais l’environnement serait demandeur", affirme le quotidien. "Il va de soi que la psychanalyse est un travail de longue haleine qui nécessite de la patience et de la motivation. Pourtant, le milieu culturel est-il favorable ? Oui, si l’on prend en compte la réticence manifestée par certains malades à se faire soigner chez un praticien de psychiatrie."
Bien que la cure psychanalytique soit bien moins répandue dans le Maghreb qu’en Europe ou en Argentine, les doutes sont, eux, d’actualité. "Domaine lié dans les esprits à la folie, la psychanalyse brise les tabous pour certains. Cela n’empêche pas les Marocains, comme d’autres ailleurs, de se poser des questions sur l’exactitude de cette méthode et parfois son inefficacité", note L’Economiste. En effet, "depuis la sortie de l’ouvrage Le Livre noir de la psychanalyse, en septembre 2005, en France, une violente attaque est menée par les psychiatres comportementalistes contre la psychanalyse".
Pourtant, celle-ci, conclut le journal marocain "même si elle n’a jamais prétendu être une science exacte, est néanmoins une thérapie qui se fonde sur l’écoute. Une écoute dont a besoin une grande majorité des patients."
* Cet ancien élève de Lacan est membre et président du Mouvement du coût freudien, issu de la dissolution de l’Ecole freudienne de Paris. Il a notamment publié Les Hommes politiques sur le divan (Calmann-Lévy, 1995), Les Errants de la chair – Etudes sur l’hystérie masculine (Calmann-Lévy, 1998), Les Images, les mots, le corps (entretiens avec F. Dolto, Gallimard, 2002).