Christian Bréchot propos recueillis par Cécile Prieur | Le Monde | 21-03-2006

Dans un entretien au « Monde », le directeur général de l’organisme de recherche médicale revient sur la polémique autour du dépistage précoce des troubles de conduite chez l’enfant

 

Comment réagissez-vous à la pétition « Pas de zéro de conduite pour l’enfant de trois ans », qui s’oppose aux conclusions d’une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent ?

 

Nous respectons profondément les personnes signataires de la pétition. Quand plus de 100 000 personnes signent une pétition, c’est qu’il y a une vraie question. Cependant, il y a un amalgame entre l’expertise collective et d’autres problèmes : il y a d’abord les craintes qui s’expriment d’un point de vue politique sur la base d’un rapport parlementaire réalisé bien avant l’expertise collective.De ce point de vue, je suis choqué par les accusations de récupération politique, que je trouve déplacées ; il y a aussi les tensions très fortes qui existent, dans le domaine de la santé mentale, entre approche cognitivo-comportementale et approche psychanalytique, avec des désaccords de vue profonds sur le psychisme humain ; et il y a la peur que suscite la maladie mentale. Enfin, cette profession s’interroge sur son devenir. L’expertise collective n’a pas créé ces tensions, elle les a révélées.Le concept même de « trouble des conduites » est discuté par les pédopsychiatres ainsi que le lien fait par l’expertise entre ce trouble, dépisté à l’enfance, et la délinquance à l’adolescence. Cette expertise était-elle légitime ? Oui, elle l’est. Le trouble des conduites est un syndrome identifié par les classifications internationales de santé mentale, ce que nul ne conteste. Par ailleurs, cette expertise n’est pas faite à l’initiative de l’Inserm, elle a été réalisée à la demande d’un acteur social, en l’occurrence la Caisse nationale d’assurance-maladie des professions indépendantes.Enfin, l’expertise collective est le fruit d’une analyse de la littérature internationale, faite par un groupe pluridisciplinaire d’experts indépendants et reconnus. Leurs conclusions ne prétendent pas représenter un état définitif de la science sur un sujet, mais offrent une contribution à un débat de société, avec une perspective scientifique et médicale. Au-delà de cette expertise, le fait nouveau, c’est que l’Inserm a décidé, depuis trois ans, d’étendre le champ de ses expertises collectives au domaine de la santé mentale. Cela s’associe à une démarche très forte de notre organisme visant à renforcer la recherche en psychiatrie, en France, dans une période de développement majeur des neurosciences. C’est dans ce cadre que s’inscrit le rôle de l’Inserm qui est de contribuer à des débats de société en se basant sur l’analyse de faits scientifiques.Beaucoup de signataires de la pétition déplorent de ne pas avoir été consultés lors de l’expertise collective. Ils soupçonnent l’Inserm de favoriser l’approche cognitivo-comportementale et font référence à une précédente expertise collective, déjà contestée, sur l’évaluation des psychothérapies. Cette vision est inexacte. Je soutiens totalement les experts qui ont été choisis pour ces expertises, dont les conclusions ne reflètent pas une volonté de surreprésentation des thérapies cognitivo-comportementales sur les thérapies analytiques. En revanche, ce qui est exact, c’est que lorsque vous procédez à l’analyse de la littérature scientifique internationale, la littérature sur les thérapies cognitivo-comportementales est beaucoup plus abondante que celle portant sur les thérapies analytiques.Donc, il y a un biais… Je ne crois pas. Mais cela explique le sentiment qu’ont eu les tenants de l’orientation analytique d’avoir été moins pris en compte dans l’expertise collective. Il n’y avait pas, il n’y a pas, et il n’y aura pas de parti pris de l’Inserm. A titre personnel, je suis convaincu de la nécessité des deux approches. Sans doute doit-on aujourd’hui, sur ces sujets sensibles de société, réfléchir aux moyens de mieux prendre en compte les différents avis avant la désignation des experts.A l’avenir, comment comptez-vous procéder ?Sur les expertises collectives qui posent des questions de société majeures, nous mettrons en place une procédure particulière. Nous réunirons l’ensemble des partenaires concernés, de toutes orientations, et nous leur demanderons de nous faire des propositions sur des noms d’experts et sur les conditions de réalisation de l’expertise collective. Ensuite, celle-ci se déroulera selon les mêmes principes qu’aujourd’hui. Puis, nous réunirons à nouveau ces partenaires avant de rendre publiques les conclusions de ces travaux.Cette procédure s’appliquera à l’expertise sur le trouble des conduites. Nous allons réunir les personnes qui souhaitent débattre – signataires de la pétition, associations de patients et professionnels qui nous soutiennent – pour discuter, ensemble, des conclusions de l’expertise et des actions de recherche à mener.

Faut-il avoir une approche spécifique en matière de santé mentale, ou ce domaine doit-il relever des mêmes protocoles que la médecine somatique ?

 C’est en soi un débat. Il n’est pas interdit de tenter d’appliquer à la santé mentale des méthodes qui ont fait leur preuve dans d’autres domaines de recherche, en se basant sur l’analyse de la littérature scientifique. Doit-on conduire ces expertises, et, surtout, le suivi de ces expertises, de la même manière que les autres ? C’est aussi l’objet d’un débat. Mais à partir du moment où il y a souffrance des patients et des familles, il ne me paraît pas illégitime de demander à une profession de réfléchir à la question de son efficacité. Cela ne veut pas dire qu’il faut voir les choses de façon rigide et que les modalités de l’évaluation doivent être les mêmes pour tous. Mais le débat sur les méthodes