On avait deviné chez les romantiques, mais on sait, depuis Freud, qu’il existe, en-deçà de la conscience, une activité mentale extrêmement vive et déconcertante. Dans ce monde étrange de l’inconscient, se trouve toute l’épaisseur de la substance humaine.
C’est là que prennent forme, à même les perceptions et les expériences de la vie, une multitude de fantasmes, qui sont autant de combinaisons différentes possibles de la vie de l’homme et, plus particulièrement, de sa vie sexuelle. Pensons simplement à nos rêves nocturnes et aux fantaisies du jour.
Ces divers fantasmes, ces multiples modalités fantasmatiques d’existence font pression sur le système culturel dominant et, dans un deuxième temps, sur les institutions politiques. Lorsque la culture contemporaine s’y prête, ils peuvent émerger à la surface et prendre place dans les moeurs de l’époque. Mais ils sont très souvent refoulés, comme nous disons, dans le lieu des ténèbres inconscientes.
Parmi ceux-ci, on trouve bien évidemment le fantasme homosexuel : ce besoin et ce désir de réaliser sa sexualité dans un rapport avec une personne de même sexe.
Dans une société patriarcale, cela n’était pas possible. L’unique projet consistant alors à produire des enfants pour la société, l’homme n’avait pas d’autre choix que de prendre femme, de la posséder tout entière, afin de réaliser cet objectif. L’homosexualité fut alors sévèrement réprimée comme activité contre-culturelle : elle était, non seulement inutile, mais grandement nuisible aux fins de la société. L’esprit de cette culture patriarcale demeure, on le sait, encore présent parmi nous.
Mais on est désormais résolument engagé dans une autre forme de culture : à la culture patriarcale fait maintenant place une culture libérale. Dans celle-ci, chacun est invité à développer son propre projet, un projet conforme à ses désirs personnels. Et cela vaut avant tout pour ses activité sexuelles. Les pulsions homosexuelles et les fantasmes du même ordre ont alors profité de l’ouverture de cette dernière culture à la diversité des expériences de vie pour s’inscrire dans les moeurs actuelles. Tout comme les femmes ont affirmé leur présence parmi nous depuis une cinquantaine d’années, les homosexuels ont peu à peu gagné du terrain dans notre espace social.
Et maintenant ils demandent une reconnaissance officielle de leur unions. Allons-nous accepter les mariages homosexuels au même titre que les mariages hétérosexuels? Oui! Cela va de soi, étant donné que nous vivons dans une société libérale pour laquelle sont autorisés les différents projets d’existence, dans la mesure toutefois où ceux-ci n’empiètent pas sur la vie des autres citoyens.
Je propose tout de même une distinction qui me semble utile : je distingue clairement l’expérience de la conjugalité de celle de la parentalité. Dès lors, je ne vois pas pourquoi les homosexuels demandent un mariage sanctionné par l’État, si leur projet consiste uniquement à vivre à deux, dans la conjugalité, une union amoureuse stable. D’autant plus que cette institution conserve encore, dans notre culture, une étroite connotation patriarcale. Si c’est, par ailleurs, dans le but d’élever des enfants dans un véritable projet de parentalité, les couples homosexuels ont peut-être, au contraire, le devoir de s’adresser à l’État pour obtenir la reconnaissance de leur projet personnel.
Enfin, appelons cela un mariage si l’on veut ; je préférerais plutôt le terme d’«union parentale».
Voici quelques réflexions menées à partir d’un savoir psychanalytique. D’autres disciplines développeront des opinions différentes et même parfois contradictoires en se situant sur un autre plan de connaissance. Seul peut trancher le législateur.
C’est trop court. J’ai essayé d’être clair.
Ile des Soeurs (Quebec), le 18 novembre 2003
Nous vous invitons à poursuivre la réflexion en lisant le texte de Claude Brodeur “Homosexualité : conjugalité ou parentalité?”