À l’instar de Dan Kaminski (et de quelques autres, mais il le dit comme tel) – dont je ne redévelopperai pas ici les arguments, fort judicieux, qu’il développe, j’avais envie de réagir à l’article sur « les mains libres » à laisser à la psychanalyse. Il n’est pas question de mettre en cause le fondement d’un discours qui défendrait le droit, pour des psychanalystes, à la reconnaissance pleine et officielle d’exercer librement et ouvertement leur profession… Mais la forme du discours, tel qu’il se présente dans l’article susnommé laisse pantois à plus d’un titre….
Il ne saurait non plus pour moi être question de laisser traiter de manière hautaine et dédaigneuse des personnes qui « se coltinent la misère du monde » et qui, dès lors, « n’ont pas à protester, mais à collaborer (…) qu’ils le sachent ou non, c’est ce qu’ils font » – comme le dit Lacan dans Télévision. Ces travailleurs pratiquent, bricolent, dignement et intelligemment, honnêtement, des manières de psychothérapies dont parfois « la » psychanalyse n’aurait pas à rougir mais à s’instruire, des travailleurs de la santé mentale (dont je reconnais volontiers que cela ne veut pas dire grand-chose) au-dessus desquels nul psychanalyste n’a, je pense, à s’élever !
1. « La » psychanalyse (qui n’existe pas) n’est pas plus qu’une psychothérapie : je l’ai déjà dit : elle ne s’en distingue (et elle n’est peut-être pas seule à le faire) que d’exiger que ses praticiens y passent… Ce n’est pas rien ; cela ne justifie aucun mépris. C’est une position principielle, une éthique clinique. Ni plus, ni moins.
2. Les psychanalystes pourraient se prévaloir d’une éthique particulière à ce titre, justement. Il semble, dans le texte que les signataires posent comme manifeste, qu’il n’en est rien, et je redoute qu’à vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, on n’en vienne à discréditer, par le malentendu qu’elle colporte, le fond même dont cette argumentation se prévaut.
3. D’aucuns, signataires de l’exception psychanalytique n’hésitent pas pourtant à signer d’un double titre (psychiatre et psychanalyste). Il est pour le moins étrange que la reconnaissance exceptionnelle exigée au titre d’une résistance se manifeste sous la forme de la collaboration ! Faudrait-il qu’un nouvel ordre prévalût d’une exception psychanalytique (décrétée par qui ?) sur le modèle d’une exception nationale que, je suppose, aucun des signataires ne saurait soutenir ! Au reste, il est amusant de constater que nombre de signataires y vont de l’insigne d’un titre supplémentaire (Docteur…) dûment reconnu par les autorités académiques, à la foi de manière (étymologiquement) autonome (l’Ordre) et de manière externe. Cette référence à un savoir externe authentifié me paraît à tout le moins contradictoire avec l’ensemble du propos tenu…
Je reprends la formule : je ne m’autorise que de moi-même, c’est-à-dire, il me semble, de mon analyse… « LA » psychanalyse n’existe pas ! Et il est curieux que l’on tente de faire circuler le bruit d’un étrange œcuménisme (peu crédible) sous la bannière de la psychanalyse laïque lors même que les différentes chapelles n’ont de cesse, hors ce merveilleux unisson, de s’entre-déchirer. Au demeurant, qui y croit ? – au moins dans la « communauté » analytique… Qui croit que les non-nommés (mais si présents) JAM, Melman ou autre IPA se soient réconciliés à l’unisson de « LA » psychanalyse ? Il est des couleuvres moins grosses que j’ai du mal à avaler… À l’envers de ce que telle démarche dénonce, elle me paraît ressembler à une entreprise soucieuse de se payer la meilleure tranche du gâteau sur le marché néo libéral que ce discours prétend dénoncer.
La place d’exception
Si la condescendance avec laquelle on traite le tout-venant qui lirait ce discours pouvait permettre de comprendre naïvement cette proposition, elle n’en résonne pas moins à des oreilles un peu averties comme l’écho à une place, située par Lacan d’une formule de l’exception, à savoir qu’il en existe au moins à qui ne s’applique pas la loi ce qui fonde que tous y soient soumis ! Cette position porte à conséquence : si l’on transpose : tout thérapeute est soumis à la loi, celle-ci est alors fondée sur l’exception que « LA » psychanalyse ne l’est pas – tout en y étant reconnue ! Bizarre position de maîtrise : Soyons clairs : un psychanalyste ne saurait se tenir à la place d’exception (toujours d’imposture), sinon à s’exclure, et d’abord de « la » psychanalyse qui – que je sache – ne s’appuie sur aucune maîtrise. Cela étant : à chercher l’exclusion, vous en aurez …
Par contre, ce qui me paraît parlant, c’est qu’un psychanalyste (article indéfini) ne soit pas tout engagé dans la loi thérapeutique – « pas tout » du fait, justement qu’il ne s’autorise d’aucun savoir mais de la singularité de la cure. Ceci ne se fonde que sur ce fait que justement aucun ne saurait échapper à la loi ! En clair, aucun analyste ne saurait se soustraire à la loi du fait d’aucune exception – elle est d’emblée invalide.
Je voudrais encore, à propos du brulot, faire quelques remarques :
1. C’est de toujours que l’exception est suspecte d’abus – elle l’est de structure : depuis la horde primitive où « le Père » avait la jouissance des femmes (sans qu’il ait aucune garantie sur la jouissance d’aucune – si vous faites glisser le génitif !), jusqu’aux temps contemporains où le tyran s’excepte de la loi – ne serait-ce qu’illusoirement, au titre de responsable local, comme l’actualité belge l’a récemment montré…. Faut-il croire que « LA » psychanalyse devrait se tenir à cette place ? Les psychanalystes n’auraient-ils pas la possibilité de montrer qu’un lien social autre est capable de tenir, et qu’à se maintenir dans la loi, ce n’est pas tout qui s’écroulerait – là où peut-être « la juxtaposition des vœux privés » pourrait résonner autrement que de manière néo libérale, par exemple dans une solidarité qui ne tiendrait pas lieu de mise en « comme Un » ?
2. Il me paraît indécent et injurieux d’affirmer que ce ne serait que « LA » psychanalyse qui fournirait « LE » modèle cohérent d’un appareil psychique ! Au demeurant, l’appareillage de « la » psychanalyse est pour le moins à mâtiner de rencontre avec le réel, où la singularité est plutôt de règle que d’exception, comme Lacan le faisait remarquer à Françoise Dolto (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p.61)
3. Les auteurs du brulot parlent de « la grande majorité des psychanalystes [de la] FABEP » : cette position serait-elle celle, officielle, de la FABEP ? Ou serait-ce alors la prise à témoin du public pour une tentative de prise de pouvoir ? Dans quelle mesure cette grande majorité autoproclamée n’eût-elle pas eu l’occasion de s’exprimer au sein même de la FABEP ? J’avais cru qu’il s’agissait d’un débat interne qui devait constituer un socle suffisamment commun pour entamer des négociations (que j’espérais rigoureuses et sans compromis) avec le ministre. On en est loin ! Pour être plus clair, s’il le fallait, j’enfonce le clou : à quel titre le débat est-il porté, comme un coup de force, sur la place publique alors même qu’il n’est pas clos, comme si l’on demandait (à qui ?) une autorité pour trancher et officialiser « l’exception » ?
Pour conclure, je soulignerai l’effet exceptionnellement négatif dans le public de ce qui s’étale d’une querelle interne sur les marches du palais, où d’aucuns revendiquent à défaut de se sentir autorisés à l’affirmer un nouvel ordre au-delà d’un nouveau statut pour la psychanalyse. Cela ne paraît pas de bon augure alors qu’il s’agirait plutôt de défendre une singularité clinique contre une banalisation ou une uniformisation. L’effet en est déjà perceptible dans le discours de Dan Kaminski qui parle de « la psychanalyse » ! Que glissement se fasse vers une universalisation est, pour moi, lourd de sens, et je ne me reconnais pas, en tant qu’analyste dans le manifeste du prêt-à-porter de l’exception !
Mons, le 20 novembre 2006