Ce texte est paru dans Le Soir le 26 janvier 2007 et dans Libération le 8 février 2007.
En France, les sirènes d’alerte ont récemment retenti afin que les citoyens se mobilisent pour retrouver des enfants enlevés.
En Belgique, il est fréquent de voir dans les transports en commun ou à l’entrée des grandes surfaces des affichettes relatives à un enfant disparu.
A l’heure où les premières dames d’Europe se réunissent afin d’intensifier et d’internationaliser pareils dispositifs, on ne peut que s’alarmer de cette agitation, ces appels dramatiques à la vigilance de la population dont l’utilité reste à démontrer.
Dans les deux situations en France, les « ravisseurs » s’avèrent être une adolescente que de multiples caméra de surveillance ont filmée et montrée très attentive à l’enfant et un jeune déficient mental qui avait voulu montrer sa « cabane ». Quant aux disparus belges, ils sont le plus souvent fugueurs. Dans l’un ou l’autre cas, les services de police ne seraient-ils pas à même de remplir adéquatement leur rôle ?
Mais la question de l’efficacité n’est pas seule en lice.
On peut s’étonner et s’interroger du sens de ces appels à la mobilisation générale, comme si l’ennemi pouvait être partout et nulle part. Ce "Tous unis contre l’envahisseur " évoque certainement aux plus âgés d’entre nous de tristes souvenirs.
Ce climat d’alerte nous paraît toxique au moins pour trois raisons.
L’appel à la population pour participer à des actions policières nous semble hautement questionnable sur le plan de la démocratie, laquelle se fonde sur la solidarité et l’effort commun dans l’élaboration permanente d’un « vivre ensemble ». A l’inverse, appeler régulièrement le citoyen à courir derrière le délinquant revient à instiller un climat de suspicion sinon à encourager les justiciers autoproclamés aujourd’hui, les lynchages demains. La surenchère d’appel à témoin et à mobilisation de l’État contrevient à son rôle d’éviter toute initiative qui augmente l’émotion et les urgences médiatiques.
Quand elles sont le fait de l’État ou de ses représentants, les confusions entre intérêt général et particulier, entre fiction et réalité, entre intime et public, entre divertissement, information et éducation contribuent au brouillage des repères dont les effets effilochent le lien social…
Par ailleurs, cette mise en avant a un effet anxiogène qui peut s’avérer très problématique pour des parents déjà fragilisés ou d’autres qui ont des difficultés à laisser à leurs enfant la possibilité d’acquérir progressivement leur autonomie. Du côté de l’enfant on sait à quel point l’angoisse de ses parents se transmet. Comment celui-ci pourra-t-il trouver la sérénité dans un monde ou résonne régulièrement pareilles sirènes ?
Les figures du terroriste et du pédophile symbolisent actuellement le mal extrême ; nous pensons qu’elles distraient des vraies questions liées à la protection de l’enfance : le climat d’insécurité, de méfiance et de suspicion qu’elles engendrent et leurs conséquences sur le rapport enfant/adulte. De plus, mettre en exergue la figure du pédophile ravisseur d’enfant, masque le fait que plus de 90% des situations de maltraitance ou d’abus se déroulent dans les familles et leur entourage.
Plutôt que de crier au loup, les efforts ne devraient-ils pas avant tout être portés dans les dispositifs de renforcement de la solidarité, de soutien à la parentalité et d’appui aux professionnels de terrain ?
Vincent Magos, psychanalyste, responsable de la Coordination de l’aide aux victimes de maltraitance (Ministère de la Communauté française de Belgique).
Françoise Petitot, psychanalyste, rédactrice ce chef de La lettre de l’enfance et de l’adolescence – Revue du Grape (dernier numéro: « Faut-il prévenir les enfants ? » Ed Eres, paru en janvier 2007)