L’attention flottante, c’est la règle technique selon laquelle le psychanalyste doit prêter la même attention à tout ce que dit l’analysant, sans attacher d’importance particulière à un détail de préférence à un autre.
Il est courant de l’évoquer, face à l’association libre recommandée pour l’analysant, en omettant ce qualificatif qui se glisse entre parenthèses : également et qui induit une réciprocité dans la relation. Attention (également) flottante …
Je suis alors tentée, dans un premier temps, de définir cette recommandation technique par ce qu’elle n’est pas, afin de laisser entendre ce en quoi elle exhorte le psychanalyste à bien mener une cure.
Flottante, ici, ne suggère ni fuite, ni indifférence, ni somnolence, ni indécision, ni hésitation … Pas plus qu’également ne se réfère à une maîtrise de l’humeur. L’égalité évoquée indique à la fois un phénomène d’équilibre entre psychanalysant et psychanalyste, et la nécessité pour ce dernier de mettre de côté ses préoccupations quotidiennes, de laisser en suspens ce qui motive son activité, d’oublier ses préjugés moraux ordinaires, ses présupposés théoriques et autres opinions, pour se rendre (également) disponible.
Flottante caractérise ainsi la fluidité, la souplesse, la mobilité d’une écoute qui se laisse sans sombrer porter au fil de l’eau … Tandis que également tempérerait son flux pour maintenir un équilibre entre deux …
Cette recommandation faite à l’analyste est donc une règle essentielle à sa pratique, afin qu’il mette en sommeil ses réflexes habituels et minimise ses défenses inconscientes. Ceci pour optimiser, de part et d’autre, “l’émergence de l’inconscient” du sujet, mais surtout, chez lui, un état de réceptivité de la mémoire sensible afin qu’elle engrange des éléments (prononciation, consonance, prénoms, soupirs, lapsus, fragments de rêves, souvenirs, etc) du discours de l’analysant, qu’elle ne retiendrait pas en temps ordinaire et qui sembleraient insignifiants d’un point de vue “objectif” au non initié. Alors que ces détails s’avèrent riches en informations et combien précieux en termes d’interprétation, quand ils entrent en écho avec d’autres éléments qui leur sont apparemment étrangers.
En effet, l’attention flottante permettra aussi, ultérieurement et de façon paradoxale, de favoriser certains éléments, en termes de sens et donc d’interprétation!
Principe d’affirmation du psychanalyste par sa discrétion mais aussi par l’acuité de sa perception, ainsi est-elle sollicitée pour autoriser l’analysant à associer librement, aussi bien que possible.
Elle symbolise à la fois l’ouverture d’esprit nécessaire au psychanalyste pour accueillir l’expression de l’inconscient de l’autre, dans toute sa dimension subjective, afin que celui-ci puisse affirmer sa sensibilité (singulière) en ses propres termes, et la nécessité de ne pas avoir d’a priori qui prédéterminerait les mots ou les événements sur lesquels se fixer durant une séance.
L’analyste, en effet, bien que son écoute s’appuie aussi sur une certaine théorie, enrichie de ses expériences analytiques personnelles, ne doit privilégier aucun élément du “discours de l’analysant”.
Autrement dit, il doit, en quelque sorte, parvenir à ne plus exercer consciemment son attention, afin de donner libre cours à sa propre production inconsciente sans influencer (volontairement) celle de l’analysant.
Ne soyons pas utopique cependant, ni prétentieux, dans le meilleur des cas, elle le conduit néanmoins dans la direction de la cure, mais aussi souplement, aussi innocemment, aussi modestement, aussi sobrement que possible … Et avec autant de tact, de réserve, de retenue que possible!
Ainsi – état de réceptivité qui favorise la relation transférentielle – l’attention flottante est-elle une invitation, non contraignante autorisant la subjectivité. L’expression de celle de l’analysant pouvant se déployer dans cet espace-temps particulier qu’est celui de la séance, face à celle de l’analyste.
Il s’agit donc pour l’analyste, porté par le flux de son attention flottante, de ne chercher à prouver ni son savoir personnel ni la théorie de l’inconscient (telle que Freud le premier s’est appliqué à la transmettre) – même si en fin de cure c’est bien l’un et l’autre en leur essence qui se trouvent confirmés et enrichis de cette nouvelle expérience que représente chaque cure.
Les interventions de l’analyste relèvent alors de l’art subtil de préserver cet espace de liberté entre deux afin que puissent surgir de l’obscurité de l’inconscient quelques lumières … !
Cette règle est donc une indication pour maintenir en intention une certaine ouverture psychique. Ce n’est pas un état permanent et elle ne va pas, par ailleurs, sans l’analyse du propre transfert de l’analyste!
Mais quand elle s’exerce à point nommée, en situation, elle devient “comme naturelle”, bien qu’elle continue de répondre à une exigence première indispensable à l’expression de la communication d’inconscient à inconscient sur laquelle vient se greffer le transfert.
Je ne peux résister pour conclure de vous livrer cette métaphore qui me vient à l’esprit : avec l’attention flottante, l’art du psychanalyste consiste à laisser défiler les mots de l’analysant et les images qu’ils évoquent, comme sur un écran, et de laisser impressionner sa sensibilité comme une pellicule … En laissant dériver son écoute au fil des flots des productions de l’inconscient.
Paris, janvier 2007