Il est rare que les personnes qui demandent une chirurgie esthétique consultent un psychanalyste. De toute façon, nous savons que nous ne pouvons pas instituer une quelconque obligation de consulter un psychanalyste que ce soit pour les urgences en générale ou pour les demandes de chirurgie esthétique plus particulièrement. Un psychanalyste n’est pas consultable par induction, suggestion ou contrainte.
Cela ne pourrait que nuire à toute possibilité vivante et productive de la rencontre singulière entre le psychanalyste et le patient. Cela poserait aussi un problème dans la relation entre psychanalyste et chirurgien. Je pense que ce dernier pourrait se sentir envahi par la présence de l’intrus dans sa relation avec son patient. Il me semble que le plus productif jusqu’à présent consistait à laisser le chirurgien décider de faire que sa patiente ou son patient, rencontre le psychanalyste de sa confiance, si elle ou lui sont d’accord, bien entendu. Mais il y a aussi un autre élément de taille et qui peut rendre difficile, voire impossible la rencontre entre la patiente et le psychanalyste : quelques personnes, candidates à la chirurgie esthétique sont très réticentes, voire méfiantes à l’idée de rencontrer un psychanalyste.
Je me rappelle d’un jeune homme, très sûr de lui qui est venu me rencontrer parce que son chirurgien le lui avait demandé. Le résultat de cette rencontre fut décevant psychiquement car le chirurgien et moi avions le sentiment qu’on était en train de passer à côté du cœur de la demande de ce monsieur. Mon avis, que j’ai communiqué au patient et au chirurgien, est qu’il était important d’attendre un peu, avant l’intervention. Ce jeune homme voulait faire refaire complètement son visage afin de lui donner une structure carrée, « comme les hommes durs, représentés par les militaires nord-américains de race blanche », selon ses dires. Sincèrement, cette histoire de changer son visage dans sa totalité et avec autant d’insistance m’avait laissé penser que nous avions affaire à une structure psychotique. C’était mon argument. Le chirurgien m’avait confié que ce monsieur devait partir à l’étranger et qu’il voulait aller déjà avec sa « nouvelle gueule », comme il disait. Il y a des patients que rien n’arrête. Comment faire ? C’est ici que la finesse du diagnostic exigé et la suite post-opératoire dépassent largement le chirurgien et les psys (psychiatres, psychologues, psychothérapeutes). Il faut beaucoup de tact pour intervenir sur le réel de ces personnes. D’ailleurs il est très difficile pour moi de défendre cette idée que la chirurgie esthétique touche le corps, surtout quand les défenseurs d’une telle hypothèse ne me laissent pas l’ombre d’un espoir de penser qu’ils savent de quoi ils parlent. Pour moi, la chirurgie esthétique est un acte qui touche l’organisme (le registre réel du corps) dans un premier temps et l’image (le registre imaginaire du corps) dans un deuxième temps. Le registre symbolique du corps n’est pas touché dans la chirurgie esthétique. Cela peut être vérifié quand nous sommes confrontés à l’insatisfaction des patientes opérées, aux procédurières, à celles qui campent dans les alentours du cabinet du chirurgien et celles qui le harcèlent par les moyens de communication de notre modernité ou même celles qui menacent la vie du chirurgien ou des membres de sa famille.
Manier les diagnostics structuraux (névrose, psychose, perversion), le transfert, les concepts dynamiques comme corps et organisme, exige une formation spécifique qui n’est pas celle des chirurgiens et dont je ne pense pas qu’ils devraient l’avoir, à moins, bien sûr s’ils souhaitent devenir psychanalystes. D’où l’idée de clinique du partenariat où, au lieu d’être seul dans la galère, à ramer avec son patient, le chirurgien se permet, par humilité clinique, de faire appel à un psychanalyste de sa confiance.
Pourquoi donc, consulter un psychanalyste en cas de chirurgie esthétique ? Parce que, en clinique, la prudence est reine. Parce que nul ne sait où va tomber son geste chirurgical, c’est-à-dire, les conséquences psychiques de l’intervention chirurgicale, qu’elle soit esthétique, réparatrice ou chirurgicale tout court. Nous pouvons en savoir davantage sur les enjeux de l’acte chirurgical si les chirurgiens s’approchent davantage des psychanalystes et vice-versa car, en fin de compte, c’est le patient qui témoignera avec le plus de précisions sur les enjeux de sa demande.
Je suis pour cette proximité entre psychanalystes et chirurgiens, mais cela vaut bien pour les patientes aussi. Au contraire de se braquer dans des logiques inquiétantes du genre « Je n’ai pas besoin d’une psychanalyse mais de nouveaux seins », les patientes devraient être un peu plus exigeantes et se laisser emporter par les exigences de la clinique, et la clinique exige un interrogatoire médical approfondi qui peut supposer, si le chirurgien l’estime nécessaire, la rencontre avec un psychanalyste. Une intervention chirurgicale ce n’est pas une mince affaire, c’est un acte opératoire lourd de conséquences si les intervenants le prenaient à la légère.
De plus en plus de femmes vont dans des pays étrangers se faire opérer par des chirurgiens à honoraires locaux. Il s’agit d’un tourisme esthétique d’un goût saisissant : quelques femmes se font opérer et pour cela elles sont installées dans une chambre d’un hôtel de luxe, au bord de la piscine (pour quoi faire ?), sans oublier qu’après l’intervention elles vont en boîte le soir et font du tourisme le lendemain…
Interrogée à la suite des complications post-opératoires graves, une patiente racontait ce qu’elle avait fait après son intervention chirurgicale (prothèse mammaire) : de la musculation quelques jours après l’intervention. Interrogée par son chirurgien que lui reprochait de faire des pompes avant la cicatrisation elle avait rétorquée : « Vous ne m’avait rien dit ! ». Malentendu névrotique ? Etrangeté corporelle dénonçant une structure psychotique ? J’avais rencontrée cette jeune femme par la suite et l’organisation délirante de la perception, ses difficultés intellectuelles, sa relation au corps et à son environnement ne mettent pas en doute la structure psychotique.
Nous ne pouvons que souhaiter que les patientes puissent parler avec un psychanalyste, si elles le souhaitent. Pour quoi faire ? Pour qu’elles sachent davantage ce qui les conduit à changer, par le réel, l’image qu’elles ont d’elles-mêmes.
Paris, le 20 mars 2007