Je suis tombé par hasard cet été sur un article évoquant la résilience des stars, et j’y ai retrouvé la légende dorée qui fait le succès de ce mot depuis dix ans : elle y était présentée comme la façon de surmonter un traumatisme par la création. Ma réserve ne porte pas sur le fait que cela existe – bien que ce soit beaucoup plus rare que ce que les médias tendraient à nous le faire croire -, mais sur la place exclusive donnée à ce mécanisme, comme si « surmonter un traumatisme par la création » excluait d’utiliser, parallèlement, d’autres moyens… moins valorisés.
En fait, la reconstruction d’une personnalité gravement endommagée par un traumatisme évoque plutôt un épais maquis d’espèces végétales différentes qu’un arbre unique portant des créations magnifiques. Car sur le territoire psychique dévasté du traumatisme, il ne pousse pas une seule catégorie de plantes, mais plusieurs, un peu comme après un incendie de forêt, la végétation se reconstitue dans un enchevêtrement de pousses concurrentes et complémentaires. Nous pouvons en distinguer au moins cinq formes. La première passe par la mise en place de comportements sexuels dits « pervers » – comme le sado-masochisme – qui sont une façon de tenter de réinvestir érotiquement le scénario du traumatisme. Une seconde variété de reconstruction après un traumatisme consiste dans une vie en tous points normale, mais entrecoupée de comportements étranges et imprévisibles qui envahissent régulièrement le sujet traumatisé et qui peuvent gravement perturber son entourage. Dans ces moments, il mélange le passé et le présent et rejoue à son insu les comportements et les paroles vécus au moment du traumatisme. Une troisième forme de reprise de la vie psychique après une catastrophe consiste en une large palette de comportements destructeurs par lesquels celui qui s’est un jour approché de la mort flirte maintenant avec elle, qu’il s’agisse de celle d’autrui (c’est ce que certains appellent la perversion morale) ou de la sienne propre (notamment dans les diverses formes de toxicomanie). Une quatrième forme de reconstruction de soi consiste dans l’amour de son traumatisme, bien connu des professionnels du soin : le sujet traumatisé se plaint sans cesse, mais ne veut surtout pas guérir car rien ne peut, à ses yeux, remplacer l’intensité de ce qu’il a un jour éprouvé. Enfin, la création est la cinquième manière par laquelle un sujet traumatisé peut se reconstruire. Elle est encore une forme d’amour du traumatisme puisque le créateur rouvre sans cesse ses plaies pour en nourrir son œuvre, mais, à la différence de la précédente qui provoque le repliement sur soi, celle-ci ouvre aux autres et favorise la création de liens.
Ces diverses attitudes coexistent le plus souvent entre elles[1], c’est pourquoi les personnalités qui ont surmonté un traumatisme dans la création sont si souvent difficiles à vivre, et portées à des épisodes de violence et/ou d’autodestruction. Ce n’est pas parce qu’elles ne seraient pas suffisamment « résilientes », c’est parce que la perversion, le sadisme et la violence font aussi partie des processus habituels de reconstruction après un traumatisme. On peut rêver que ce ne soit jamais le cas, mais les faits sont têtus…
[1] Pour des exemples de telles coexistences, voir Tisseron S., La Résilience, PUF, Que sais-je, 2007.