Frédéric Bieth s’entretient avec Eric Favereau pour Libération (17-09-2005)
Frédéric Bieth, 35 ans, philosophe de formation, est un psychanalyste membre des Cartels constituants de l’analyse freudienne de Paris. Il explique pourquoi sa discipline échappe au critère de l’efficacité.
Alors Freud, menteur, escroc, cocaïnomane, etc. Comment réagissez-vous ?
J’ai davantage une réaction de philosophe. Avec Freud, on n’est pas dans le cas d’une théorie qui vérifie une pratique. On est dans une pratique qui construit chaque jour une théorie. Aussi, le qualifier de menteur, de traître, ce n’est rien d’autre que n’avoir pas compris comment fonctionne le travail scientifique. Cela montre également à quel point il est nécessaire de se décaler dans la lecture de Freud. Du moins de se décaler d’une étude pleinement érudite qui n’aurait pas d’autre portée que le mot à mot.
En même temps, il est nécessaire de comprendre que c’est la pratique, la clinique, qui est centrale dans la psychanalyse. Freud a travaillé avec des patients, il a construit peu à peu une théorie, il a écrit pour tenter de sortir d’impasses. Ses écrits ont cette fonction, celle d’avancer, faire travailler l’inconscient. On n’est nullement dans quelque chose de figé et de dogmatique. Lorsque je lis Freud, je ne recherche pas une théorie ou une référence idéologique. Mais je note à quel point l’écriture des cas cliniques freudiens est une invention à laquelle ma pratique donne corps autant qu’elle continue de la construire.
C’est-à-dire…
Dans l’analyse, j’ai affaire à un être humain, qui, dans sa singularité, exprime quelque chose d’universel. Ce sujet, cette subjectivité particulière, dit quelque chose de la condition humaine. Et, ce qui nous intéresse sur le divan, ce n’est pas que leur symptôme puisse être catalogué symptôme d’Anna ou de Dora, mais leur singularité. Je pense qu’il y a là comme une libération, soutenue par une parole vraie. Il y a, de ce point de vue, un écart fondamental avec les thérapies comportementales et cognitives (TCC).
Dans l’analyse, j’ai affaire à un être humain, qui, dans sa singularité, exprime quelque chose d’universel. Ce sujet, cette subjectivité particulière, dit quelque chose de la condition humaine. Et, ce qui nous intéresse sur le divan, ce n’est pas que leur symptôme puisse être catalogué symptôme d’Anna ou de Dora, mais leur singularité. Je pense qu’il y a là comme une libération, soutenue par une parole vraie. Il y a, de ce point de vue, un écart fondamental avec les thérapies comportementales et cognitives (TCC).
Certains reprochent aux psychanalystes leur refus d’aborder la question de l’évaluation. Qu’en pensez-vous ?
Il ne me choque pas qu’on s’interroge sur l’effectivité de la psychanalyse. On ne peut pas l’évacuer tel quel. Pour autant, on ne peut pas poser cette question de la même manière qu’on la pose pour un médicament dans un protocole scientifique. Car c’est une chose que de pouvoir évaluer un médicament en comparant des populations standard, ou la diminution des symptômes de patients à court terme. C’en est une autre que de vouloir évaluer de façon quantifiable ce qu’il en est d’une parole d’un sujet, parole qui lui permet de sortir de sa souffrance. Une personne peut avoir moins de TOC (trouble obsessionnel compulsif) ou de crises de boulimies avec les TCC, mais d’autres symptômes peuvent apparaître que camouflaient les précédents, comme de l’agressivité. Les TOC et la boulimie ont une raison d’être dans l’histoire de la personne ; c’est à cela que s’intéresse l’analyse. Le terme d’évaluation ne convient pas.
Il ne me choque pas qu’on s’interroge sur l’effectivité de la psychanalyse. On ne peut pas l’évacuer tel quel. Pour autant, on ne peut pas poser cette question de la même manière qu’on la pose pour un médicament dans un protocole scientifique. Car c’est une chose que de pouvoir évaluer un médicament en comparant des populations standard, ou la diminution des symptômes de patients à court terme. C’en est une autre que de vouloir évaluer de façon quantifiable ce qu’il en est d’une parole d’un sujet, parole qui lui permet de sortir de sa souffrance. Une personne peut avoir moins de TOC (trouble obsessionnel compulsif) ou de crises de boulimies avec les TCC, mais d’autres symptômes peuvent apparaître que camouflaient les précédents, comme de l’agressivité. Les TOC et la boulimie ont une raison d’être dans l’histoire de la personne ; c’est à cela que s’intéresse l’analyse. Le terme d’évaluation ne convient pas.
Les querelles ou conflits actuels vous paraissent démodés et dépassés ?
Je suis très inquiet, car tout cela aura un impact sur le public. Je suis inquiet car cela renvoie à une tendance dramatique, celle d’une hygiène du corps, d’un corps social propre. On est dans une normativité qui entre dans le même cadre que les règlements à tous vents qui envahissent nos sociétés. On légifère, on réglemente lorsqu’on ne peut penser.
Je suis très inquiet, car tout cela aura un impact sur le public. Je suis inquiet car cela renvoie à une tendance dramatique, celle d’une hygiène du corps, d’un corps social propre. On est dans une normativité qui entre dans le même cadre que les règlements à tous vents qui envahissent nos sociétés. On légifère, on réglemente lorsqu’on ne peut penser.
Est-ce difficile d’être un jeune analyste ?
D’abord, je ne vis pas économiquement de l’analyse, c’est pourquoi j’ai une deuxième casquette, la philosophie. C’est aussi une manière de ne pas être attaché à ses patients, de garder sa liberté dont l’acte analytique s’autorise. Tout autant que le psychanalyste n’est pas dans un métier mais dans une fonction. Ni hier ni aujourd’hui, l’analyste n’élabore d’étude marketing, pas plus qu’il ne donne à voir une quelconque plaque sur sa porte. Cela étant, le moment que l’on traverse est particulier. Avant, lorsque l’on entamait une analyse, le patient cherchait à «éprouver» sa subjectivité. Aujourd’hui, les subjectivités arrivent souvent déconstruites, et sont dans des souffrances profondes. Ce que nous demande un patient, c’est davantage de l’aider à construire sa subjectivité. La psychanalyse trouve plus que jamais sa nécessité, devant le défi et l’urgence que lui impose la question du sujet.
D’abord, je ne vis pas économiquement de l’analyse, c’est pourquoi j’ai une deuxième casquette, la philosophie. C’est aussi une manière de ne pas être attaché à ses patients, de garder sa liberté dont l’acte analytique s’autorise. Tout autant que le psychanalyste n’est pas dans un métier mais dans une fonction. Ni hier ni aujourd’hui, l’analyste n’élabore d’étude marketing, pas plus qu’il ne donne à voir une quelconque plaque sur sa porte. Cela étant, le moment que l’on traverse est particulier. Avant, lorsque l’on entamait une analyse, le patient cherchait à «éprouver» sa subjectivité. Aujourd’hui, les subjectivités arrivent souvent déconstruites, et sont dans des souffrances profondes. Ce que nous demande un patient, c’est davantage de l’aider à construire sa subjectivité. La psychanalyse trouve plus que jamais sa nécessité, devant le défi et l’urgence que lui impose la question du sujet.