Aucun résultat
La page demandée est introuvable. Essayez d'affiner votre recherche ou utilisez le panneau de navigation ci-dessus pour localiser l'article.
Aucun résultat
La page demandée est introuvable. Essayez d'affiner votre recherche ou utilisez le panneau de navigation ci-dessus pour localiser l'article.
Nos nouveaux interlocuteurs
Les nouvelles méthodes de communication à distance sont en train de générer leur contre partie charnelle. Moins le « corps physique » de nos interlocuteurs est présent, et plus le « corps physique » des supports de communication est appelé à prendre de l’importance. Peu à peu, ce sont les objets communicants eux-mêmes qui deviennent nos interlocuteurs. Le toucher, exclu de la relation à l’autre, devient alors de plus en plus présent dans nos relations aux machines elles mêmes. Avec nos téléphones de première génération, nous cherchions à nier que la séparation ait eu lieu. Avec ceux de la troisième génération, nous reconstituons à volonté une union privilégiée avec un interlocuteur toujours disponible, attentif et obéissant, notre téléphone lui-même ! Les récents développements technologiques vont d’ailleurs dans ce sens : recherche de matériaux qui imitent la peau, adaptation aux attentes de l’usager, et développement de l’interaction vocale.
La machine devient donc notre interlocuteur familier. Il n’y manque même pas les scènes de bouderie, sous la forme de « bogs » aussi imprévisibles et inexplicables qu’une scène de ménage. Leroy Gourhan nous a familiarisés avec l’idée que les objets prolongent et décuplent les possibilités de nos mains et de nos jambes. Freud a montré qu’elles peuvent aussi recueillir nos attentes, nos rêves et nos désirs, soit pour les mettre de côté, soit pour nous aider à les transformer. Ce qui se passe aujourd’hui nous oblige à ajouter une troisième clé aux deux précédentes : les machines seront de plus en plus des partenaires à part entière.
Et c’est probablement parce que vivons chacun notre ordinateur domestique de cette façon que nous sommes enclins à ne pas nous inquiéter plus de la société de surveillance totale qui s’installe. Les années 1970 ont vu s’opposer les tenants des ordinateurs centraux à la puissance de calcul phénoménale, aux tenants des ordinateurs domestiques conviviaux. Ils ne savaient pas que ces deux évolutions étaient exactement parallèles, et que l’une rendait l’autre acceptable.
« Mamachine »
Dans l’Antiquité, on désignait les outils, les animaux et les esclaves sous le même mot général instrumentum. Mais tous les « instrumentum » n’étaient pas équivalents. L’outillage agricole était dit « muet » – instrumentum mutum – le bétail qui peut répondre à son nom et à quelques consignes simples était dit instrumentum semi vocale – tandis que les esclaves doués de la parole étaient instrumentum vocale. Nous n’avons plus d’esclaves auxquels commander par la parole, mais nous avons des ordinateurs : comme eux, ils se prêtent à tous les rôles que nous leur confions : scribe, comptable, conteur, traducteur, mais aussi partenaire de jeux divers ou de rêveries érotiques, voire complice sans état d’âme de nos confidences intimes… Mais ces nouveaux interlocuteurs évoquent moins l’esclave soumis que la mère omnisciente toujours prête à satisfaire de nouveaux désirs… En fait, un ordinateur a le pouvoir de réactiver les relations qu’un enfant a établies avec son premier environnement. Si elles ont été satisfaisantes, il profite pleinement des espaces virtuels. Si au contraire, elles ont été marquées par des sentiments de frustration narcissique et d’insécurité, le risque est que l’usager tente de s’en guérir avec le virtuel, et réduise de plus en plus son monde à son ordinateur sans vraiment en tirer de véritable satisfaction.
L’adolescent décramponné de sa mère, mais angoissé de son insertion future dans la société, s’adonne à cette autre forme de cramponnement qu’est le jeu vidéo. Scotché à sa machine, il a un credo : « Plutôt dépendant d’une machine que de ma mère ! ». Le problème est que l’un n’empêche pas l’autre, et qu’au bout du compte, c’est pire, parce que la machine ne dit jamais non ! Avec elle, « tout glisse », me disait un adolescent. Comment s’en séparer un jour devient le nouveau problème.
“Papa, je vais le dire à maman”, ou la destitution des pères
Cet article est initialement paru dans La Libre le 10 octobre 2007
Affiches massives le long des autoroutes, spot publicitaire à la Une, oui, le ton est donné, on officialise l’autorité enfantine : "Papa, mets ta ceinture ou je vais le dire à maman." Fini pour l’enfance ce temps joyeux et insouciant où l’on préconisait aux parents d’être les guides de la génération montante. Force est de constater que le rôle des générations s’y retrouve raboté, voire même inversé.
Dorénavant institutionnalisé responsable young passenger, l’enfant, qui, depuis les années septante, avait acquis pas à pas le grade d’Enfant Roi, se voit adouber du devoir d’être un Enfant Chef. C’est à lui qu’incombe dorénavant une part de responsabilité de la sécurité routière. Et pas question d’y échapper, c’est écrit en toutes lettres.
La science des avatars
Je suis devant mon ordinateur. Les impératifs qui règlent la vie quotidienne se mettent en sommeil, un peu comme au moment de l’endormissement. L’installation devant l’écran s’accompagne d’ailleurs d’un rituel qui rappelle celui du coucher : se retirer à l’écart, avec son lit dans un cas, son ordinateur dans l’autre, baisser la lumière… Puis la porte des espaces virtuels s’entrouvre, un peu comme celle des rêves dans Les Aventures de Little Nemo in Slumberland, la célèbre bande dessinée de Windsor Mac Cay.
Je me retrouve à traverser des déserts ou des marécages pleins de créatures hostiles, à m’enfoncer dans d’épaisses forêts à la recherche de fées ou de géants, à combattre des monstres horribles, à diriger d’immenses armées ou quelques compagnons d’arme, voire à mettre en scène mes fantasmes sexuels les plus intimes. Mais toujours et comme dans un rêve, les désirs secrets dont la satisfaction est impossible la journée deviennent réalisables. Je suis le seul témoin de ce que je mets en scène, et si je le partage avec quelques complices sur le net, l’anonymat est total. Et comme dans un rêve encore, la différence entre vrai et faux, passé et présent, réel et imaginaire tend à s’effacer.
Pourtant, les mécanismes décrits par Feud, et qui contribuent à la construction du rêve, sont bouleversés par le fait que les espaces virtuels ne sont pas le résultat d’une élaboration personnelle, mais d’une construction collective gérée par un serveur. L’imaginaire personnel doit à chaque fois composer avec les contraintes techniques et les traces des fantasmes et des rêveries d’autrui. Du coup, ce ne sont pas les images créées par chacun qui sont le reflet de ses désirs et de ses inhibitions, mais les parcours qu’il impose aux créatures chargées de le représenter.
C’est pourquoi la prise en charge des accrocs du virtuel doit leur faire raconter leur parcours, de la même façon que Freud faisait raconter leurs rêves à ses patients névrotiques. L’avatar est la voie royale vers l’inconscient de l’usager du virtuel.
Quel est l’intérêt de s’allonger sur un divan ?
L’intérêt que revêt le divan est a priori et selon moi – et sans doute selon quelques autres – de favoriser ce que l’on nomme la « libre association ». Tant celle et de prime abord, de l’analysant (l’allongé), que celle de l’analyste.
Le striptease de l’avatar
Pour comprendre ce qu’est un avatar, le mieux est de le déconstruire. Imaginons pour cela une sorte de « strip-tease ». L’exercice n’est pas théorique puisque chacun peut s’y livrer sur Second Life.
Tout commence bien sûr par un déshabillage en règle. Vous faites enlever à votre avatar sa chemise, sa jupe ou son pantalon, puis ses sous-vêtements, jusqu’à ce qu’il se retrouve aussi nu qu’une poupée Barbie dans sa boîte de base. Mais l’effeuillage de l’avatar ne s’arrête pas là. La chevelure, le sourire, l’expression du regard, la façon de marcher et de se mouvoir, les ongles, les poils et jusqu’à la peau peuvent être enlevés tour à tour. A la fin, votre avatar n’est pas seulement aussi nu qu’un fœtus, il est aussi lisse et inexpressif que lui. Ces différentes caractéristiques de votre avatar que vous avez successivement ôtées sont appelées des « objets ». Autrement dit, votre avatar n’est rien d’autre qu’un assemblage d’objets numériques. L’informaticien et le psychanalyste se rejoignent ici sur un point : les « objets » ne sont pas pour eux des outils susceptibles d’être manipulés pour transformer le monde, mais tout ce qui est susceptible d’éveiller le désir. Il n’y a pas de différence, de ce point de vue, entre une paire de gants, un chapeau, des lunettes, un pénis, une façon de marcher, une coupe de cheveux ou un certain éclat dans le regard. Le psychanalyste appelle tout cela des objets « partiels », puisque ce sont à chaque fois des fragments de corps ou de vêtement, et que leur point commun est de pouvoir mettre le désir en route chez quelqu’un qui les voit. . Les avatars sont des poupées d’objets partiels, non seulement conçues pour mobiliser le désir, mais aussi pour le satisfaire ! Car si beaucoup de choses sont possibles dans les mondes virtuels, se toucher y restera encore longtemps impossible. Il nous faut nous contenter de ce que notre regard attrape : une belle poitrine, une chevelure doucement caressée par le vent, une démarche chaloupée… Nous sommes invités à en jouir sans nous préoccuper d’une autre forme de contact. C’est pourquoi, dans les espaces virtuels, les objets partiels mobilisent le désir avec une force qui a peu d’équivalent dans la vie réelle, et qui rappelle celle de la publicité.
Ella Sharpe, lue par Lacan | Traduction ( Marie-Lise Lauth dir)
« Ella Sharpe, lue par Lacan », « Traduction inédite des écrits », Coll. « Psychanalyse », Editions Hermann, 2007, 200 p., 24 euros. Sous la direction de Marie-Lise Lauth
Une traduction inédite – et bienvenue – des Ecrits de la psychanalyste Ella Sharpe (Editions Hermann).
« Peu d’analystes ont été aussi doués…Elle écoutait d’une oreille minutieuse chaque son émis par un patient et prenait à la lettre et avec le plus grand soin, chaque mot prononcé » écrivait Ernest Jones, le biographe de Freud, au sujet de la psychanalyste Ella Sharpe. Née près de Cambridge en 1875, quasi contemporaine donc du fondateur de la psychanalyse, Ella Sharpe possédait effectivement l’amour des belles lettres. Destinée à la littérature, devenue enseignante, elle suit une analyse avec James Glover, puis effectuera une « tranche » à Berlin avec Hans Sachs, amateur comme elle de littérature. C’est donc avec intérêt qu’on découvrira l’ouvrage qui lui est consacré par les Editions Hermann où la traduction de ses principaux textes donne lieu au rappel des commentaires qu’en fit ultérieurement Jacques Lacan.
Du nécessaire naufrage du moi
Paru initialement dans Le Monde le 24 mai 2007
Dans le monde qui nous entoure, nous nous trouvons toujours, consciemment du moins, "en pays de connaissance" ; les objets, les êtres que nous percevons sont délimités et répertoriés. Nous savons que ceci est un arbre, que c’est Jean, ou à tout le moins "un homme", qui vient à notre rencontre, etc. L’expérience est rare, et toujours troublante, de se trouver en présence de l’innommable, d’une somme brute de sensations radicalement étranges, c’est-à-dire étrangères à notre univers de choses nommées. Le cauchemar parfois affronte cet insensé, et, angoissés, nous nous hâtons d’en sortir.
« Elle s’appelle Sabine »
C’est une banalité de dire que la télévision donne à la plupart des sujets qu’elle traite une tournure émotionnelle. Mais c’est toujours intéressant de voir de quelle façon et avec quelles conséquences.
Ainsi, le documentaire Elle s’appelle Sabine, diffusé sur FR3 la semaine dernière, avait tout pour intéresser. Réalisé par Sandrine Bonnaire sur sa sœur handicapée mentale, il associait le problème très actuel de l’autisme, le désarroi des proches et la question de la pertinence des structures de soin. Avant même la diffusion du documentaire, la presse avait reformulé les choses : une jeune fille décérébrée par les psys, une sœur people, le tout sur fond d’angoisse ancestrale – le médecin rend-il fou ceux qu’il prétend soigner ?
Pourtant, le film est assez nuancé : il y est dit que l’état de Sabine s’aggrave après la mort de son frère, et que c’est la famille entière, épuisée, qui demande l’hospitalisation. Malheureusement, Mireille Dumas choisit de rediffuser juste avant le débat le moment le plus bouleversant du film: la Sabine d’aujourd’hui, mal dans son corps et qui peine à s’exprimer, en train de regarder les images de la Sabine d’hier, belle jeune fille en voyage à New York avec sa sœur. Effet assuré : comment ne pas être bouleversé, et comment résister à l’idée que ces cinq années d’hospitalisation ont été cinq années de décervelage ? Du coup, les vraies questions du débat deviennent invisibles : comment prendre en charge ces souffrances en dehors de la famille dès leur apparition ? Et avec quelles équipes gérer l’hospitalisation de ces malades qui ont un psychisme arrêté à l’enfance dans un corps d’adulte ? Faut il des services pour adultes – à cause de leur âge réel – ou des services pour enfants dans lesquels les équipes sont mieux formées à ces pathologies et aux symptômes par lesquels elles s’expriment ?
Les média n’aiment pas laisser une question en suspend. « Des réponses, toujours des réponses, rien que des réponses » semble leur devise. C’est pourquoi ils utilisent autant le levier émotionnel. Parce que les émotions nous incitent à penser dans un seul sens. Pas forcément faux, mais dans un seul sens. Du coup, elles nous privent de notre ambivalence et du travail intérieur que nous sommes obligés d’accomplir pour la résoudre. Bien sûr, même sans télévision, nous sommes tentés de prendre ce chemin. Mais elle savonne sacrément la pente !
« Elle s’appelle Sabine »
C’est une banalité de dire que la télévision donne à la plupart des sujets qu’elle traite une tournure émotionnelle. Mais c’est toujours intéressant de voir de quelle façon et avec quelles conséquences.
Ainsi, le documentaire Elle s’appelle Sabine, diffusé sur FR3 la semaine dernière, avait tout pour intéresser. Réalisé par Sandrine Bonnaire sur sa sœur handicapée mentale, il associait le problème très actuel de l’autisme, le désarroi des proches et la question de la pertinence des structures de soin. Avant même la diffusion du documentaire, la presse avait reformulé les choses : une jeune fille décérébrée par les psys, une sœur people, le tout sur fond d’angoisse ancestrale – le médecin rend-il fou ceux qu’il prétend soigner ?
Pourtant, le film est assez nuancé : il y est dit que l’état de Sabine s’aggrave après la mort de son frère, et que c’est la famille entière, épuisée, qui demande l’hospitalisation. Malheureusement, Mireille Dumas choisit de rediffuser juste avant le débat le moment le plus bouleversant du film: la Sabine d’aujourd’hui, mal dans son corps et qui peine à s’exprimer, en train de regarder les images de la Sabine d’hier, belle jeune fille en voyage à New York avec sa sœur. Effet assuré : comment ne pas être bouleversé, et comment résister à l’idée que ces cinq années d’hospitalisation ont été cinq années de décervelage ? Du coup, les vraies questions du débat deviennent invisibles : comment prendre en charge ces souffrances en dehors de la famille dès leur apparition ? Et avec quelles équipes gérer l’hospitalisation de ces malades qui ont un psychisme arrêté à l’enfance dans un corps d’adulte ? Faut il des services pour adultes – à cause de leur âge réel – ou des services pour enfants dans lesquels les équipes sont mieux formées à ces pathologies et aux symptômes par lesquels elles s’expriment ?
Les média n’aiment pas laisser une question en suspend. « Des réponses, toujours des réponses, rien que des réponses » semble leur devise. C’est pourquoi ils utilisent autant le levier émotionnel. Parce que les émotions nous incitent à penser dans un seul sens. Pas forcément faux, mais dans un seul sens. Du coup, elles nous privent de notre ambivalence et du travail intérieur que nous sommes obligés d’accomplir pour la résoudre. Bien sûr, même sans télévision, nous sommes tentés de prendre ce chemin. Mais elle savonne sacrément la pente !