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Objets blessés : un si long détour

L’exposition que le musée des Arts Premiers consacre aux objets blessés d’Afrique est l’occasion pour certains de s’émerveiller, et pour d’autres de se souvenir. Un ami m’écrit  : « Cela me fait un effet tout à fait étrange. J’ai côtoyé ces objets: calebasses, bassines en plastique, marmites, fourneaux, chaussures… tout semble se réparer en Afrique. Il y a même un mot wolof pour cela : "dabadakhr" (orthographe très approximative) et qui est pratiquement intraduisible : calfeutrage, pansement, rustine avec l’idée qu’il s’agit d’une opération de fortune. Il y a aussi une façon de prendre les objets, de les utiliser, qui est tout à fait différente de ce que l’on fait ici. Peut être est ce dû simplement à une ruralité que l’on a tendance à oublier en France ? Les paysans français des années 20 réparaient ils leurs objets de la même manière que les sénégalais d’aujourd’hui ? »

Je lui réponds : « Rassurez-vous. Quand j’étais enfant, dans ma famille, tout se réparait encore. Je n’ai hérité de mon grand-père qu’une grande boîte pleine de ficelles, de fil de fer, de rustines et de lanières de cuir qui lui servaient à réparer un peu tout. » Et ma réponse est l’occasion de me souvenir à mon tour. J’ai vu les gilets détricotés pour en faire de nouveaux, les chaussettes et les chaussures rapiécées, les casseroles et les bouillottes métalliques rafistolées.

La France a-t-elle besoin de passer par l’Afrique pour retrouver son propre passé ? Il le semble bien. Pendant les » trente glorieuses », notre société s’est fâchée avec ses propres objets blessés. Elle a tort. Ils disent la fatigue, l’usure, la pauvreté, mais aussi la vieillesse et les blessures assumées. Au contraire, les objets régulièrement changés pour être toujours neufs sont une façon de nier l’usure du temps et les ruptures de la vie. Nos objets quotidiens ont ce pouvoir parce qu’ils sont le support d’une symbolisation de nos expériences du monde, et, à ce titre, ils peuvent nourrir un savoir sur soi tout autant qu’une cécité.

Une société qui utilise des objets blessés est une société qui accepte ses blessures. Une société qui exalte le chrome, la peinture laquée et les peaux uniformément lisses court le plus grand risque de les refuser. C’était déjà la leçon du film Mon oncle de Jacques Tati. Freud avait un mot pour désigner cela, le clivage.

 (1) Yann Leroux, psychologue et blogeur : http://yann.leroux.free.fr 

Une rubrique Livres, pourquoi ?

Une rubrique livre sur Squiggle peut avoir quelque chose de paradoxal. En effet, il est d’usage de déconseiller des lectures psychanalytiques aux analysants ou à ceux qui envisagent une analyse. Pourquoi ? Parce que pour le patient, les recherches théoriques viennent trop souvent barrer la vraie connaissance, celle qui vient de l’inconscient, propre au sujet. Car l’inconscient relève bien d’une connaissance dont le patient dispose, mais a son insu. Une grande partie du travail analytique viendra le lui rendre plus familier, lui permettre de s’y sensibiliser, de l’apprivoiser… Et c’est fort de cette connaissance, bien éloignée des théories, qu’il sera à même de se relancer.

Virtuel

Il est parfois reproché aux images virtuelles de paraître plus vraies que la réalité, d’inviter à y entrer au risque de perdre toute distance critique par rapport à elles, et d’inciter à des formes d’adhésion émotionnelle sans retenue. Mais cela n’est pas nouveau. Ces trois caractéristiques font partie des objectifs de la peinture occidentale depuis la Renaissance. Les images virtuelles visent-elles à paraître « plus vraies que la réalité » ? C’était le compliment que les contemporains du peintre Raphaël faisaient à ses portraits. Invitent-elles celui qui leur fait face à se croire physiquement présent à l’intérieur ? C’est ce que prétendait réaliser Le Tintoret par un traitement de la perspective qui intégrait le spectateur, dans la scène représentée. Organisent-elles une forme d’adhésion émotionnelle extrême entre les figures représentées et celui qui les regarde ? Le peintre Murillo doit sa célébrité à avoir peint des vierges et des anges dont le visage attendrit les plus endurcis d’entre nous ! S’il y a des raisons de s’inquiéter des nouvelles images, ce n’est donc pas du côté de leurs pouvoirs visuels et émotionnels qu’il faut chercher : c’est parce qu’elles créent la sensation d’y être physiquement présents. La clé de ce pouvoir réside dans l’avatar.

A l’origine, l’avatar désignait dans la religion hindouiste les diverses incarnations du dieu Vichnou sur la terre. Sur Internet, il consiste dans la figure par laquelle l’usager d’un espace virtuel se déplace et interagit. Et en effet, on croit aux mondes virtuels à la mesure du pouvoir de notre avatar de les transformer. C’est pourquoi le problème n’est pas d’y entrer, mais de pouvoir en sortir, autrement dit de cesser d’y croire à volonté. Le bon usage des espaces virtuels est inséparable de la capacité de dégager sa croyance d’un simple clic. Pour en faire le meilleur usage, il n’y a qu’une seule solution : apprendre à y aller et venir, c’est-à-dire à les envisager comme vrais au moment d’y entrer… et comme faux au moment d’en sortir. C’est en cela que la capacité de jouer est au centre de notre liberté face aux nouvelles technologies. Et c’est pour cela qu’il faut l’encourager très tôt.

 

Que penser de l’expression « faire son deuil » ?

Tiré de mon expérience professionnelle où je rencontre des veuves et orphelins de sapeurs-pompiers, je pense intéressant d’aborder le thème de la culpabilité au cours du travail de deuil. En effet, la culpabilité à se reconstruire sans le conjoint décédé, à reprendre vie, à retrouver le plaisir, reste le sentiment dominant. On entend aussi, assez souvent, l’endeuillé exprimer l’idée qu’il a tué le mort. D’où nous viennent ces idées, ces fantasmes ? Quel rapport existe-t-il entre travail de deuil et culpabilité?

Plan B

Le rapport d’expertise de l’INSERM préconisant le dépistage des « troubles des conduites » chez les jeunes enfants (Le Monde du 23 septembre 2005) a provoqué un large débat sur le risque d’une dérive des pratiques de soin psychique vers des fins normatives et de contrôle social. En revanche, si les méthodes d’intervention proposées par le rapport de l’INSERM ont été justement condamnées, les formes de souffrance psychique des jeunes enfants qu’il a mises en avant existent bel et bien. Dès l’âge de trois ans, les enfants d’aujourd’hui ont déjà des profils psychologiques marqués : certains se perçoivent plutôt comme des dominants et des agresseurs potentiels, d’autres comme des victimes craintives et d’autres encore comme des redresseurs de torts. Ces profils sont sous la dépendance de nombreux facteurs, mais les programmes télévisuels qui stressent les enfants et les confrontent à des surcharges émotionnelles importantes – notamment au moment des actualités télévisées – renforcent très vite ceux ci. Un enfant qui a tendance à se percevoir comme agresseur est incité à renforcer ce rôle de manière à se rassurer face à un monde audio visuel qui l’angoisse, tandis que celui qui se sent victime a tendance à se sentir de plus en plus menacé.

L’introduction du jeu de rôle dès la maternelle pourrait s’opposer à cette tendance. Il existe en effet une corrélation directe entre la capacité de « faire semblant » et le pouvoir de surmonter la frustration des situations décevantes : mieux cette capacité est établie et plus l’enfant est à même de gérer les situations pénibles sur un mode indirect, celui du jeu. En outre, le jeu de rôle permettrait de lutter contre la tendance des enfants à adopter précocement des comportements qui s’auto renforcent en les invitant à changer successivement de rôle : ils seraient conviés à jouer l’agresseur, la victime et le redresseur de tort à tour de rôle. Ceux qui ont tendance à s’enfermer dans certains profils – notamment la peur et l’agression – ne seraient ainsi pas stigmatisés, mais invités à éprouver d’autres positions possibles et d’en sortir. Ils pourraient plus facilement se décoller des identifications enkystées. Les enfants qui tendent à se fixer dans un profil de victime seraient invités à s’en dégager, tout comme ceux qui tendent à se fixer dans un profil d’agresseur apprendraient à éprouver de l’empathie pour les victimes de (leur) violence* .

* Ce jeu de rôle pourrait être animé par les professeurs des classes maternelles  – par exemple une ou deux fois par semaine – à condition d’une formation et d’un encadrement spécifique.

La face cachée de la violence des jeunes

Une première version de ce texte est parue dans La Libre Belgique 1ier mars 2007

« Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible … Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin. » Hésiode (VIIIe s.av. J.-C.)

Second Life

Internet a dorénavant son miroir : Second Life. Mais cet espace virtuel, persistant et partagé, qui promet à ses usagers « l’extase d’une vie échappant à tout contrainte », n’est pas seulement un gigantesque supermarché du conformisme, y compris sexuel. Il est aussi une usine à transformer à notre insu notre subjectivité. Car c’est bel et bien notre rapport aux autres, au réel et à nous mêmes que nous sommes invités à penser différemment aussitôt que nous y entrons. Tout ce qu’on y vit et fait échappe en effet aux catégories traditionnelles de la présence et de l’absence, du vrai et du faux et même du réel et de l’imaginaire, qui s’y trouvent comme liquidées. Nous ne savons jamais si nos interlocuteurs nous écoutent vraiment – sans parler de savoir avec qui ils se trouvent et ce qu’ils sont en train de faire -, l’épreuve de réalité y perd tout sens parce qu’elle est pratiquement impossible, la relation peut y être fuie à tout moment, sans donner ni raison ni adresse… Rien d’étonnant donc si le déni de la perte et le risque d’addiction y guettent. Un exemple y revient souvent, celui d’une ménagère qui a fait fortune en ouvrant une boutique de prêt à porter où elle vend ses créations numériques. On cite moins celui du travailleur au chômage qui préfère se contenter d’une aide sociale minimale et passer ses jours et ses nuits dans cette société virtuelle plutôt que de chercher à se réinsérer…

Quant à ceux qui souhaitent y développer leur créativité ou leurs relations intimes, il vaut mieux qu’ils sachent que cet espace est sous haute surveillance. Les gestes, paroles et créations de chacun sont observés et archivés par la société californienne Linden Lab, propriétaire du site, qui connaît bien entendu l’identité réelle de tous les usagers. Elle se réserve aussi le droit, à tout moment et sans aucune explication, de fermer votre compte, d’effacer votre avatar d’un simple clic et de s’approprier tout ce que vous avez créé !

Certains y apprécieront la représentation d’une démocratie protégée de tous les débordements extrémistes, d’autres y verront le cauchemar d’un monde dans lequel il est devenu impossible de changer les règles, mais où chacun est invité à se consoler avec l’infinie complexité des situations de proximité…

 

La double inconstance du suicide

Pourquoi est-il si difficile de parler de son suicide ou de ses idées suicide ?

Dans le cours d’une psychanalyse, il est rare que le sujet évoque des idées de suicide. Il peut parfois évoquer des fantasmes de suicide bien sûr. Mais, il y a quelque chose de contradictoire entre une demande adressée à un analyste et la volonté de se supprimer. L’idée que le psychanalyste en saurait quelque chose ? La demande d’attention de la part du psychanalyste ? La recherche de sa sollicitude ? Le fait d’avoir à payer pour ce que l’on dit ?

Que veut vraiment nous faire entendre Nicolas Sarkozy

Le 22 octobre 1941 à côté de Chateaubriant, Guy Môquet, résistant de 17ans et demi est fusillé. La veille de sa mort, il écrit une lettre à ses proches (voir ci-dessous).

Le 16 mai 2007, Nicolas Sarkozy  déclare "Je n’ai jamais pu lire ou écouter la lettre de Guy Môquet sans en être profondément bouleversé (…) Ma première décision de président de la République sera de demander au futur ministre de l’Education nationale que cette lettre soit lue en début d’année à tous les lycéens de France". Cette décision donne lieu à de nombreux débats.
Comme à l’accoutumée, nous publions les interventions de psychanalystes (ici, Elie-Jean Bernard) et, une fois n’est pas coutume, le beau texte d’un enseignant (Pierre Schilli), également paru dans Libération, le même jour

Grégory Lemarchal, héros résilient ?

Grégory Lemarchal, vainqueur de la Star Academy il y a deux ans, est mort des suites de la mucoviscidose il y a quelques semaines. Et la vente de ses disques, qui avaient disparu des rayons spécialisés, a soudain explosé… Grégory Lemarchal est en train de devenir un nouveau héros. Mais que mettre sous ce mot ? Est-ce le héros mythologique des légendes grecques ou le héros tragique et déchiré de la modernité ? En fait, ni l’un ni l’autre. Car un nouveau modèle de héros est arrivé : le héros « résilient ».

Le héros grec participait de la beauté et de l’harmonie du monde. Il pouvait être blessé, mais son intégrité physique, tout comme son idéal, n’étaient jamais altérés. Les héros tragiques qui lui ont succédé étaient bien différents : ils doutaient, pouvaient boiter – comme John Wayne dans les derniers westerns de Ford -, voire être borgne ou manchot, comme ceux que, enfant, je voyais défiler, médaillés et fiers, le jour du 14 juillet. Mais le culte de la perfection corporelle qui règne dans les médias a imposé de faire disparaître ces héros-là aussi. Ou plutôt, il a placé leur handicap au début de leur parcours et non à sa fin. Le héros a connu la déréliction, voire la mort, mais il les a surmontées. Et c’est encore mieux s’il a « rebondi » à partir d’eux, comme Grégory Lemarchal faisant de sa voix assourdie par la maladie l’instrument de son succès et de sa gloire.

C’est ainsi qu’une récente campagne de publicité a pu désigner comme héros des malades cancéreux guéris, mais ne présentant – c’est essentiel ! – aucune séquelle apparente. Le héros contemporain se doit toujours d’être « beau » en fin de parcours, mais plus son handicap aura été grand au début, et plus son mérite le sera aussi.

Le succès posthume de Grégory Lemarchal n’est pas seulement le sien. C’est aussi celui de cette nouvelle idéologie : il a souffert de la mucoviscidose, il a « rebondi », puis il a été terrassé, tel un héros grec, au faîte de sa jeunesse, fixé dans la beauté pour l’éternité. Mais comme toute idéologie, celle-ci a sa face cachée. A lier ainsi la capacité de s’en sortir à la « beauté » – dont le beau visage de Grégory est la dernière métaphore médiatique – que dirons-nous de ceux que les épreuves ont laissé gravement endommagés, physiquement ou psychiquement ?