A quoi ça sert de rêver ?

Il y a cet état qu’on nomme sommeil, où nous ne sommes pas conscients de nos pensées et de nos sentiments, où la relation perceptive avec le monde est suspendue, où – en principe ! – la motricité ne s’exerce plus. Et pourtant il s’y passe des choses…

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Un livre, un divan et un débat

Paru dans Le Monde, le 25 septembre 2005
 
Le Livre noir de la psychanalyse ? Un déchaînement d’invectives et d’accusations grotesques, enchâssées dans des études érudites anciennes, encore une fois recyclées, que ponctuent, enfin, des invitations au "dialogue" tantôt patelines, tantôt sarcastiques.
 
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En finir avec la psychanalyse?

Paru dans Libération, le 13 septembre 2005

Nouvelle offensive, ces temps-ci, contre la psychanalyse : «livre noir (1)», dossiers «noirs» et vieux procès, toujours le même, les mêmes arguments qu’on opposait déjà à Freud. C’est donc un rituel. Périodiquement on dira : «Mais vous ne l’avez pas vraiment guéri !» ou bien : «Vous interprétez le rêve dans le sens qui vous arrange !»

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Ces mages noirs qui rêvent d’enterrer la psychanalyse

rParu dans L’Humanité, le 09 septembre 2005
 
Promu à la manière de ces journaux à scandale qui barbotent dans la rumeur et prospèrent dans le marigot, un prétendu Livre noir de la psychanalyse occupait voici peu les bonnes feuilles d’un hebdomadaire qui, en d’autres circonstances, a pu offrir à ses lecteurs franchement plus de qualité et d’objectivité : le Nouvel Observateur, pour ne pas le nommer.
 
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Une nouvelle chasse aux sorcières

Paru dans Le Monde, le 10 septembre 2005

 

Aussi dangereuse qu’insidieuse, une campagne obscurantiste se développe. Elle vise directement la psychanalyse et toutes les psychothérapies relationnelles qui considèrent que le traitement de la souffrance psychique ne saurait relever de la seule médecine.

 

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[B] Manifeste pour la Psychiatrie par le Collectif POPP

Communiqué à la presse par Bernadette Goffart, Serge Goffinet, Sylvain Gross, Joëlle Hallet, Françoise Langlet, Jean-Pierre Lebrun et Marc Segers, le 03 septembre 2005

 

Il n’est plus possible, pour beaucoup de psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes, de rester insensibles à la forte poussée qu’exerce une certaine psychiatrie, allant dans le sens avoué d’imposer un axe de pensée, d’orientation clairement médicale et biologique, comme réponse principale, si pas unique, aux difficultés de nos patients et aux malaises de notre société.
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A propos du Livre noir de la psychanalyse

Note de lecture et commentaire du 29 août 2005
 
1 – Contenu de l’ouvrage
 
Le 1er septembre paraît aux Arènes un ouvrage collectif intitulé Le livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud. Catherine Meyer en est l’éditrice responsable avec la collaboration de Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cottraux, Didier Pleux et Jacques Van Rillaer.
Dans cet ouvrage, les freudiens sont mis en accusation : ils ont, dit-on, envahi les médias à coups de propagande et de mensongesSont brocardés avec une rare violence tous les représentants du mouvement psychanalytique depuis ses origines : Melanie Klein, Ernest Jones, Anna Freud, Bruno Bettelheim (etc) et, pour la France, Jacques Lacan, Françoise Dolto, leurs élèves et les principaux chefs de file de l’école française (toutes tendances confondues, IPA et lacaniens).
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Un beau miriage gay ?

Paru dans Le Monde, le 22 mai 2004
 
Mariage, Mirage : appelons « miriage » un engagement fondé sur l’illusion. La maxime fondatrice héritée des Lumières – « Liberté, Égalité, Fraternité » – est porteuse de tensions dynamiques, tantôt asphyxiantes, tantôt fécondes. Liberté, on s’en doute, ne fait pas forcément bon ménage avec Égalité ni avec Fraternité.
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La prévention de la violence par le jeu de rôle à l’école maternelle

Recherche de Serge Tisseron et coll. (Université Paris X) La violence des jeunes est un problème qui préoccupe tous les pays industrialisés, bien qu’il soit difficile de dire que les enfants d’aujourd’hui soient plus violents que ceux d’hier. Les causes sont multiples : sociales, psychologiques, familiales… Et les solutions sont elles aussi multiples : aider les parents en difficulté, mieux valoriser les compétences des jeunes (notamment dans le domaine des nouvelles technologies et des images), mieux les informer sur l’habitat et l’emploi, désenclaver les banlieues, etc.

Les travailleurs du nucléaire malades du secret

Aujourd’hui, quand on pense « souffrance et secret », on pense aussitôt « famille ». Mais les secrets existent aussi dans les entreprises et peuvent générer des troubles chez ceux qui en sont les porteurs, voire chez leurs proches. Sur ce thème, la chaîne Arte diffuse le 12 mai un reportage de Alain de Halleux consacré aux travailleurs du nucléaire. Ils sont obligés de travailler de plus en plus vite sans pouvoir toujours respecter les normes de sécurité. Mais dans le même temps, ils n’ont pas le droit d’en parler sous peine de perdre leur emploi. Le porteur d’un tel secret est amené à se couper en deux entre son désir de parler pour se soulager et l’obligation qu’il s’impose – ou qu’on lui impose… – de se taire. Etre ainsi coupé en deux est une source de souffrances, c’est comme de vivre avec deux personnalités qui coexistent. Il peut en résulter des troubles somatiques ou psychologiques, ou une fatigabilité excessive. Et cette souffrance est perçue par les proches, mais ils n’en ont évidemment pas la clef. En outre, on leur dit que rien n’est caché ! La famille, les amis, voient bien que « ça ne tourne pas rond ». Du coup, ils se coupent en deux à leur tour, entre ce qu’ils pressentent et ce qu’on leur dit de croire. Les proches essayent aussi de comprendre et imaginent en général deux choses : celui qui souffre sans rien pouvoir dire aurait peut être fait quelque chose de honteux ; ou bien il aurait de gros reproches à faire à son entourage sans oser lui en parler. Dans le premier cas, ceux qui côtoient le porteur de secret indicible imaginent qu’il a la honte, et dans le second cas, ils imaginent qu’il veut la leur faire porter ! Résultat, dans les deux cas, les relations sont empoisonnées.
Redisons le : les secrets que l’on garde avec bonheur sont glorieux et ne posent de problème à personne. C’est le cas des secrets que les travailleurs du nucléaire ont d’abord été amenés à garder, au début de l’implantation de cette technologie. Mais aujourd’hui, tout a changé. Les conditions de sécurité sont de moins en moins respectés au fur et à mesure que s’étend la sous-traitance et ce secret douloureux mine les employés qui s’y sentent contraints, leur climat familial, mais aussi le climat de l’entreprise. Plus personne n’ose poser de question à personne, tout le monde s’épie et tout le monde tente d’imaginer ce qu’on lui cache ou que les autres savent, jusqu’à s’inventer parfois des histoires rocambolesques qui nourrissent les fantasmes et les rumeurs. La grande victime du secret n’est pas la vérité, qui est d’ailleurs souvent relative, mais la communication. Plus les conditions de travail se durcissent, plus la sous-traitance se généralise, plus le risque existe que des employés se retrouvent porteurs de secrets pénibles. Le film de Laurent Cantet, « Ressources humaines », en était une autre illustration…

Et si Haddock avait parlé à Tintin de ses jeux vidéo ?

Revenons sur Haddock et les jeux vidéo. Nous avons vu la semaine dernière que dans l’état où il se trouve dans Le Crabe aux pinces d’or, il aurait probablement joué à n’importe quoi pourvu que ce soit de façon compulsive. Il est en effet plongé à ce moment dans une dépression où il éprouve – comme bien des toxicomanes – un mélange de honte, de colère et de dégoût de lui-même. Or ce sont des émotions qu’il est facile de fuir dans les jeux vidéo, par un jeu répétitif qui évite de penser, bien sûr, mais aussi par la création d’un personnage virtuel tout puissant.
Puis Haddock évolue. Tintin l’invite à partager ses enquêtes et lui propose des raisons de vivre. Haddock y est valorisé et devient capable d’émotions plus riches et nuancées. Et ses questions se précisent : : « Qui était mon ancêtre le Chevalier de Hadoque, capitaine de marine sous le règne du roi Louis XIV ? ». J’imagine que s’il avait joué aux jeux vidéo, il se serait alors orienté vers des jeux qui lui auraient permis d’aborder ces questions de façon ludique. Il aurait pu jouer à Pirates et diriger un navire dans la mer des Caraïbes au XVIIIè siècle en s’identifiant à Hadoque ou à Rackam le Rouge. Ou bien se familiariser, dans Complot à la Cour du Roi Soleil, avec le père probable de son ancêtre, le roi Louis XIV lui-même  !(1)  Bref, il se serait rapproché de son histoire familiale à travers les espaces virtuels, avant que Tintin, que rien n’éloigne jamais de la réalité, ne l’invite à partir à la recherche de son ancêtre  « pour de vrai ».
Si nous sommes thérapeutes, c’est ce passage du jeu compulsif vers le jeu narratif que nous devons favoriser et accompagner chez les joueurs excessifs. Et certainement pas établir des programmes de réduction de consommation comme avec les substances toxiques qui ne sont jamais porteuses de sens en elles mêmes. Et pas non plus en jouant avec eux, tout au moins en consultation individuelle : dans une entretien psychothérapique de 30 à 35 minutes, comment voulez vous avoir le temps, à la fois, de jouer ET de parler. Car malheureusement, c’est bien le temps dont nous pouvons disposer, tant en pratique publique que privée. Les contraintes qui nous sont imposées nous obligent à choisir. Et si le jeu prend 20 minutes – comment jouer moins longtemps ? -, il en reste bien peu pour construire cet espace potentiel narratif où le joueur peut prendre du recul par rapport à son jeu. Car il faut du temps à l’adolescent pour construire la mythologie à la fois personnelle et familiale dont il a besoin pour passer de l’enfance à l’âge adulte.
 
(1) Voir mon ouvrage Tintin chez le psychanalyste, 1985, Paris : Aubier.

Et si Haddock avait connu les jeux vidéo ?

Lorsque Haddock voit surgir Tintin par le hublot de sa cabine dans Le Crabe aux pinces d’or, il n’est pas seulement alcoolique. Il est aussi dépressif et habité par un sentiment catastrophique de lui-même et de sa valeur.
Les joueurs excessifs partagent souvent ces caractères. Il n’est pas rare qu’ils souffrent d’un état dépressif associé à un défaut d’estime d’eux mêmes, et nombre d’entre eux ont un tonus psychique de base défaillant qu’ils cherchent à compenser dans des pratiques extrêmes. On imagine facilement le capitaine Haddock cherchant à oublier ses malheurs en jouant jour et nuit  à World of Warcraft dans la cabine du Karaboudjan dont il a abandonné la direction à son second Alan…
Pourtant, il existe deux différences importantes entre un alcoolique et un joueur de jeu vidéo excessif. La première, c’est Tournesol qui nous l’indique. Dans Tintin et les Picaros, il introduit dans la nourriture du capitaine une substance qui lui rend l’alcool insupportable. C’est que l’alcool est une substance toxique et qu’un autre toxique (ou si on préfère une autre drogue) peut s’opposer à ses effets physiologiques. Rien de semblable dans le cas des jeux vidéo. Il n’existe aucun médicament qui puisse en dégoûter… Autrement dit, il n’existe pas de dépendance physique chez le joueur excessif, et c’est une différence importante. Elle justifie à mon avis qu’on parle, à propos du jeu excessif, de compulsion plutôt que d’addiction.
Mais il y existe une autre différence entre l’alcool et les jeux vidéo. Ces derniers peuvent être utilisés comme un espace de construction du sens. Bien sûr, ce n’est pas le cas à chaque fois. Il existe en effet deux façons de jouer qui correspondent à deux formes d’interaction possibles : sensori-motrices et narratives. Les premières placent au centre les sensations et la répétitivité, tandis que les secondes encouragent l’identification et l’empathie : le joueur est invité à avoir des sentiments « pour » et « avec » les personnages avec lesquels il joue. Dans cette seconde façon de jouer, la préoccupation narrative est centrale. Et elle est à la fois historicisante et oedipianisante, c’est-à-dire structurante. C’est pourquoi les jeux vidéo accompagnent si bien de nombreux adolescents dans le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Si Haddock avait été accro aux jeux vidéo, je fais donc l’hypothèse que sa façon de jouer aurait évoluée au fil des albums. Parce qu’il est désespéré et honteux, il aurait d’abord joué de manière compulsive, pour oublier. Puis, au fur et à mesure de son évolution, il aurait joué de façon plus historicisante et narrative. Et en retour, cette pratique lui aurait permis d’aller mieux en favorisant la mise en scène de son histoire personnelle et familiale…
 
 

Winnicott, sa vie, son œuvre| F. Robert Rodman

« Winnicott, sa vie, son œuvre », par F. Robert Rodman  (Editions Eres, 2008)
 
Il incarne par excellence la troisième voie. Celle de la psychanalyse pure et dure, serait-on tenté d’écrire, tellement cette difficulté de choisir, cette préférence pour le va-et-vient permanent d’une pensée qui refuserait de s’ancrer définitivement au risque de se figer, correspond à la posture scientifique freudienne. Celle-ci n’hésitait jamais à se remettre en cause à partir des expériences cliniques sur lesquelles elle s’étayait.

Guérir des images en fabriquant les siennes

La prise en charge des joueurs excessifs relève d’abord du rôle des parents et des pédagogues. Il faut cadrer le temps de jeu sans pour autant l’interdire, et surtout inviter le joueur à privilégier les interactions d’images qui créent du sens. On peut y parvenir de deux façons.
La première consiste à parler avec le joueur – voire, pour les parents, à jouer avec lui – pour l’aider à constituer son jeu en espace de construction de ses propres représentations symboliques. Quant au joueur excessif, il  ne doit pas être invité à arrêter son jeu, mais d’abord à jouer différemment. En pratique, cela signifie l’aider à passer d’un jeu sensori-moteur à un jeu plus narratif, et à se construire une identité narrative à travers celle de son avatar. Cela suppose que les parents, les pédagogues, et bien sûr les thérapeutes, connaissent les jeux vidéo…
La seconde façon d’aider les joueurs excessifs est de les inviter à créer leurs propres images. Par exemple en faisant des petits films sur leur passion du jeu avec leur téléphone portable. N’oublions pas que le jeu vidéo est un espace d’images et que l’être humain a inventé les images pour donner du sens à sa vie. C’est pourquoi la meilleure façon de s’opposer à des images dénuées de sens consiste à favoriser la construction d’images qui donnent du sens. Mais il est bien évident que ces remèdes ne sont efficaces que parce que le jeu excessif n’est pas une addiction ! Essayez donc de guérir des buveurs ou des fumeurs excessifs, ou même des joueurs de jeu d’argent, en leur proposant de faire un petit film ! Cela a été tenté dans des centres de consultation dans les années 1980, et l’échec a toujours été au rendez vous. C’est parce que le jeu excessif n’est pas une addiction que cette stratégie réussit, alors qu’elle échoue aussitôt qu’une substance toxique est en jeu.

Mais pourquoi parlent il donc d’addiction ?

Pourquoi diable certains psychiatres persistent-ils à parler d’addiction au sujet des adolescents et des jeux vidéo alors que tous les travaux comparatifs montrent qu’il ne s’agit justement pas de cela(1)  ? Je vois au moins trois raisons à cela. Bien sûr, ils en escomptent des crédits et des créations de postes. Mais ne soyons pas trop terre à terre. A mon avis, deux autres raisons les guident.
La première est leur ignorance des relations complexes que l’être humain entretient avec les images : elles sont toujours recherchées comme un moyen de donner du sens à l’existence, et les échecs sur ce chemin ne permettent pas d’assimiler leur usage à une drogue. D’ailleurs, la consommation excessive d’images se guérit en général très bien par la fabrication des siennes, alors que la consommation excessive de tabac ou d’alcool ne s’est jamais guérie en fabriquant du vin ou du tabac, et encore moins en fabriquant des images !
Mais la raison principale à vouloir faire de la pratique du jeu vidéo une addiction pourrait bien relever de l’estime de soi de ceux qui prétendent s’en occuper. On n’a jamais vu un patient souffrant d’alcoolisme guérir par une psychothérapie. C’est un traitement d’appoint, mais ce sont les médicaments et les groupes d’anciens buveurs qui sont les plus efficaces. Et avec l’apparition des addictions à l’héroïne et à la cocaïne, ce sentiment d’échec n’a fait qu’empirer… En alimentant le fantasme que les pratiques excessives du jeu vidéo à l’adolescence seraient une nouvelle « addiction », certains professionnels comptent bien montrer que cette fois – et à la différence de ce qui se passe pour l’addiction au tabac, à l’alcool ou au haschisch -, ils savent la guérir ! Et c’est vrai : il n’est pas trop difficile de guérir « l’addiction aux jeux vidéo » à l’adolescence, tout simplement parce qu’elle guérit le plus souvent toute seule au moment du passage à l’âge adulte ! Voilà le pas qu’il nous faut franchir. S’il est si facile de guérir « l’addiction aux jeux vidéo » à l’adolescence – contrairement à l’addiction au haschich par exemple – c’est justement parce que ce n’est pas une addiction.
 
(1) Voir blog du 21/02.

A qui profite l’addiction ?

ou : Comment intégrer les joueurs excessifs à l’économie ?
Les autorités Chinoises, en décrétant que les joueurs excessifs – c’est à dire excessifs à leurs yeux – souffraient d’une maladie appelée « addiction », ont rendu possible leur hospitalisation forcée dans des hôpitaux militaires où on a tôt fait de les remettre au travail. Les Etats-Unis d’Amérique, eux, n’intègrent pas leurs malades en les transformant en petits soldats, mais en gros consommateurs. Autre pays, autres mœurs. Si les autorités sanitaires américaines reconnaissent l’addiction aux jeux vidéo, ce sera donc parce qu’un puissant lobby prétend aujourd’hui les soigner avec des psychothérapies sur mesure. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Les chercheurs cognitivistes et comportementalistes, qui ont mis au point les stratégies d’apprentissage capables de scotcher les jeunes aux jeux vidéo, connaissent évidemment sur le bout du doigt les stratégies qui permettent de les en décoller : et pour cause, ce sont les mêmes ! Celui qui fabrique le poison est évidemment le mieux placé pour fabriquer aussi son antidote ! Et les thérapeutes de cette obédience ne sont pas les seuls intéressés : faire reconnaître le jeu vidéo excessif comme « addiction » ouvrirait en outre ce marché à l’usage des « drogues » légales : je ne serais pas étonné que, si la décision était prise de faire de l’Internet Addiction Disorder une pathologie reconnue, des laboratoires pharmaceutiques proposent bientôt des médicaments pour guérir les adolescents joueurs excessifs ! Ils représentent en effet un fabuleux marché… même si la plupart deviennent des joueurs tout à fait raisonnables au moment du passage à l’adulte. Ils ne voudront pas se faire soigner parce qu’ils ne se sentent pas malades, me direz vous. Et bien justement, le mot d’addiction justifiera qu’on les y force ! D’où l’enjeu que ce mot représente. L’accepter n’est pas anodin. C’est un choix de société.

L’opium des adolescents

Toute pratique collective  entraîne dans son sillage un certain pourcentage d’excès. Fixons arbitrairement ce pourcentage à 1%. Si une pratique collective est peu répandue, les individus concernés par ce pourcentage sont pratiquement invisibles. Mais si la même pratique se généralise, ce pourcentage se traduit par un nombre significatif de sujets. Prenons par exemple les rituels religieux : la littérature psychiatrique de la première moitié du XXème siècle(1)  relate un grand nombre de cas de pratiques obsessionnelles des rites catholiques. Karl Marx avait d’ailleurs parlé au sujet de la religion « d’opium du peuple », autrement dit de vraie drogue ! Mais  aujourd’hui, et alors que rien ne prouve que le pourcentage de catholiques compulsifs soit moindre, le nombre de pratiquants de cette religion a tellement baissé que plus personne n’y fait attention.
Prenons maintenant l’exemple des jeux vidéo. Aussitôt qu’ils sont apparus, il s’est révélé qu’un certain pourcentage de joueurs étaient amenés à s’y fixer de façon obsessionnelle et compulsive. Comme le premier jeu dans lequel cette pratique s’est révélée s’appelait Everquest, cette maladie nouvelle a été baptisée « Everquestite ». Comme une mauvaise fièvre, l’Everquestite durait un an ou deux jusqu’à ce que le joueur, réalisant qu’il passait à côté de sa vie, affective et professionnelle, s’arrête de jouer. Ceux qui ne s’arrêtaient pas étaient évidemment les psychotiques, qui se sentaient bien incapables d’entrer dans la vraie vie !
Puis le jeu vidéo est devenu une pratique de masse, et le même petit pourcentage d’usagers ayant tendance à développer une pratique compulsive a gonflé… jusqu’à devenir, paraît-il un problème de santé publique. Et pourtant, rien ne prouve que la pratique excessive du jeu vidéo soit une forme d’addiction. C’est même l’idée contraire qui s’est imposée à Keith Bakker, ce hollandais qui a tenté pendant deux ans de soigner les joueurs excessifs comme des « drogués ». Il y a totalement renoncé après deux ans, en concluant que « ça n’avait rien à voir », et en les renvoyant à leurs parents et pédagogues !
 
 
(1) Comme le Manuel de Psychiatrie de Henri Ey.

Conversations Psychanalytiques | Ignacio Gárate Martinez

Ignacio Gárate Martinez  –  Conversations Psychanalytiques avec Xavier Audouard, Michel de Certeau, Joël Dor, Maud Mannoni, Octave Mannoni, Francesc Tosquelles, Ginette Michaud – Editions Hermann.
 
 
 
Ce livre est un ouvrage de référence pour l’histoire de la psychanalyse et les psychanalystes, qu’ils soient en formation ou « confirmés ». Un cadeau du témoignage de sept noms qui sont partie constitutive des fondements de la psychanalyse et de son éthique. Et ce d’autant plus dans notre époque où trop peu de témoignages d’une psychanalyse vivante existent.