La comédienne Isabelle Caro, qui annonce peser 31 kilos, a décidé de partir en guerre contre l’anorexie. Elle n’a pas de peine à nous convaincre. Son corps décharné, photographié par Oliviero Toscani crée un tel malaise tel qu’on a envie de se mobiliser tout de suite. Mais contre quoi ? L’anorexie, bien sûr, mais qu’est-ce que c’est, l’anorexie ? Est-ce une mode qu’il faut dénoncer, ou une maladie face à laquelle la psychiatrie s’avoue encore impuissante ? Dans un cas, c’est une campagne d’information qui est nécessaire pour inviter chacun et chacune à ne pas imiter ces apologies morbides de la maigreur, et dans l’autre, c’est plutôt un appel aux dons qui convient, afin de promouvoir la recherche médicale. Le problème, c’est que personne n’en sait rien… Du coup, les journalistes oscillent sans cesse de l’une de ces positions à l’autre. On ne peut pas le leur reprocher. En revanche, quelle que soit celle de ces deux positions qu’ils adoptent, elle semble toujours pour eux être la seule. D’où un sentiment étrange…
Dans l’interview d’ Isabelle Caro, c’est tantôt le côté « choix de vie » qui domine et tantôt le côté « maladie », sans que le passage de l’un à l’autre ne soit jamais indiqué. Mais il est essentiel. On ne soigne pas les choix de vie, on se contente de les blâmer ou de les punir s’ils sont interdits par la loi. Quant à la maladie, elle ne se « choisit » pas, à l’adolescence pas plus qu’à tout autre moment. Le spectateur, ballotté entre ces deux éventualités qui ne sont jamais explicites, ne sait plus s’il est bouleversé par le côté spectaculaire de l’anorexie ou par le fait qu’il ne comprenne rien à ce dont il s’agit. Pris d’angoisse, il est prêt à accuser les sites Internet pro-ana où des jeunes filles malades exhibent leur maigreur. Mais un site qui prétendrait que le cancer est un « choix de vie » se ferait-il accuser de la même façon de provoquer la survenue du cancer chez ceux qui vont le visiter ? On penserait probablement plutôt que c’est une façon pour ces malheureux de tenter de travestir leur maladie en choix pour se consoler du sort qui les accable…
En fait, ce débat n’est pas particulier à l’anorexie. La sortie du film de Nicolas Philibert, Retour de Normandie, et de celui, déjà ancien, de René Allio, Moi Pierre Rivière, nous rappellent qu’il traverse notre culture depuis deux siècles : les comportements extrêmes et inexplicables relèvent ils de la liberté de chacun, ou doivent ils être considérés comme pathologiques ? Pierre Rivière, qui avait égorgé sa mère, son frère et sa sœur, avait-il « fait un choix » – auquel cas il devait en supporter toutes les conséquences – ou bien était-il « malade » – auquel cas il devait être soigné ? Autour de l’anorexie, aujourd’hui, la question est la même, et il est urgent que le débat public s’en fasse l’écho.
A défaut d’en désigner clairement les termes, on risque de faire des anorexiques les nouvelles sorcières des temps modernes. Au moyen âge, celles-ci faisaient scandale en étant suspectées de préférer le diable et ses orgies noires à tous les bienfaits lumineux de l’Eglise. Aujourd’hui, où chacun est censé aspirer à plus de santé, de longévité et de sexualité, l’anorexique fait scandale en donnant l’impression de faire tous les choix contraires. Mais justement, est ce un choix ?