Elisabeth Bertou | Le Courrier International |12-01-2007

Blessé par le conflit armé ayant duré plus d’un mois l’été dernier entre le Hezbollah et Israël, le pays du Cèdre n’a pas fini de panser ses plaies. D’autant que la situation politique actuelle, mettant en péril le fragile équilibre gouvernemental, revivifie dans l’esprit de ses habitants des souvenirs de guerre sans fin, soulignent des psychanalystes libanais.

"L’hideuse, effroyable et monstrueuse guerre peut-elle ressurgir de ce trou noir dans lequel les Libanais l’ont ensevelie il y a plus de seize ans ?" se demande L’Orient-Le Jour. "Si la majorité des analystes politiques est convaincue que les Libanais ne passeront pas à l’acte, même si le contexte s’y prêtait, il n’en va pas de même pour des psychanalystes qui perçoivent un risque sous-jacent et pernicieux de voir les différents protagonistes acculés à réitérer la même erreur." Le quotidien beyrouthin ajoute qu’"une prédisposition mentale, psychique, voire historico-culturelle" serait ancrée dans l’inconscient collectif des habitants.

Dans les colonnes du journal, la psychanalyste Marie-Thérèse Kheir Badawi rappelle que la guerre civile (1975-1990) qui a "déchiqueté l’âme du pays, s’est subitement tue comme si de rien n’était. Accablés d’un lot de traumatismes innommables, les Libanais ont décidé de s’en décharger au plus tôt en ressoudant, à la va-vite, les plaies béantes provoquées par vingt ans de conflit." Cette "mise entre parenthèses" n’a pas permis de faire le travail de deuil nécessaire à une reconstruction efficace. Pour cette thérapeute et enseignante, il s’agit là d’une "mission qui incombe à la classe politique et intellectuelle, appelée aujourd’hui à exorciser le mal profond autour d’une table de discussion et dans le cadre d’une structure ad hoc."

Une autre psychanalyste, Anissé El-Amine, estime que les Libanais sont propulsés une fois de plus au sein de clans politiques "réveillant en eux des niveaux très archaïques, les appartenances". Elle justifie ce repli par "une insécurité fondamentale qui s’explique différemment chez le sunnite, le maronite, le chiite ou le druze, animés par des angoisses propres à chacun". Celles-ci ont réapparu "dès lors que la lacune sécuritaire est redevenue patente". Néanmoins, tant que la haine et la violence "continuent d’être exprimées verbalement à travers différentes tribunes", les risques de guerre civile seront évités, assure le Dr El-Amine.

Pour sa part, le médiatique Dr Chawki Azouri* craint "l’effet hypnotiseur que pratiquent les leaders charismatiques sur leurs foules respectives". Selon lui, les Libanais auraient construit une partie de leur identité personnelle en s’appuyant sur l’idéal incarné par leur chef politique. Ainsi, porté par cette idéalisation – l’idéal du moi –, le leader choisi a tout loisir d’"assujettir les membres d’une foule à son discours, pour le bien ou pour le mal". "Il ne tient donc qu’à ces meneurs de foules, bien nombreux au Liban, de donner chacun l’ordre à ses partisans de tirer sur la gâchette", affirme le psychiatre.

Insistant sur cette idée de guerre, ce tabou qui "taraude les esprits" et dans le but de ne pas répéter la même erreur que dans le passé, L’Orient-Le Jour en appelle à la responsabilité et à la prise de conscience individuelle du citoyen libanais. Car, en définitive, c’est à lui que revient de rendre cette tentation "réversible, à condition qu’il fasse auparavant son devoir de mémoire, de deuil, de pardon et enfin de réconciliation".

* Chawki Azouri a publié notamment Pour une éthique commune. Médecine, psychiatrie et psychanalyse (éd. Campagne Première, 2003), un ouvrage collectif avec, entre autres, Elisabeth Roudinesco et Aldo Naouri.