Parmi les divers points de vue qui invitent à considérer le jeu vidéo excessif comme une addiction, l’un d’entre eux mérite qu’on s’y arrête. On peut le résumer ainsi : l’approche des différentes pathologies addictives et leur prise en charge serait actuellement beaucoup trop marquée par l’importance donnée aux substances toxiques, et les motivations conscientes et inconscientes du sujet « addict » seraient sous-estimées. En faisant admettre « l’addiction aux jeux vidéos » comme une forme d’addiction à part entière, le but serait de sortir d’une logique de l’addiction liée aux toxiques et de mettre en avant la part psychique des comportements addictifs, qu’il mettent en jeu ou non une substance. Du coup, cela permettrait de donner un nouvel essor à la prise en charge psychothérapique des sujets « addicts » pour lesquels une tendance importante de l’addictologie ne voit aujourd’hui de solution que dans des drogues de substitution.
En revanche, pour les adversaires du jeu vidéo considéré comme addiction, il ne s’agit pas de nier les parallèles possibles avec diverses formes de toxicomanie, notamment en termes de difficultés à contrôler les impulsions. Mais il s’agit de faire valoir un « en plus ». La question de savoir si la pratique excessive des jeux vidéo serait une forme d’addiction ne concerne en effet pas seulement le monde de l’addictologie et ses enjeux internes, qu’ils soient de pouvoir ou d’idéologie. La question du jeu vidéo excessif engage aussi au premier chef la représentation que nous nous faisons de la crise de l’adolescence, des responsabilités parentales et éducatives, et finalement de la place du soin médical dans l’ensemble du dispositif de prévention. Bref, si les addictologues soucieux de psychothérapie ont tout à gagner à faire reconnaître le jeu vidéo excessif comme addiction, cette reconnaissance ne manquerait pas de faire surgir un autre problème. Ce qui s’y trouverait en effet occulté, c’est la possibilité pour les jeux vidéo de faire sens, et leur usage dans ce but par nombre de joueurs, y compris excessifs. Et comme c’est aujourd’hui le point crucial de tension entre joueurs (le plus souvent jeunes) et partisans convaincus du caractère « addictif » des jeux (le plus souvent vieux), le fossé de l’incompréhension s’en trouverait encore aggravé. Le bénéfice – au demeurant très hypothétique – qu’en tireraient les addictologues justifie t il de courir ce risque ? Le jour où les jeux vidéo seront reconnus comme une pratique générale et où tout risque de stigmatisation de leurs adeptes sera écarté, parler « d’addiction aux jeux vidéo » sera sans doute reçu comme de parler aujourd’hui « d’addiction au sexe » : tout le monde sait bien que cela ne concerne que très peu d’individus adultes et que tous les jeunes qui y touchent ne sont pas menacé ! Le problème est que c’est le contraire qu’on entend dire pour les jeux vidéo, c’est pourquoi la prudence doit rester de mise !