Communiqué à la presse par Bernadette Goffart, Serge Goffinet, Sylvain Gross, Joëlle Hallet, Françoise Langlet, Jean-Pierre Lebrun et Marc Segers, le 03 septembre 2005

 

Il n’est plus possible, pour beaucoup de psychiatres, psychologues, psychanalystes, psychothérapeutes, de rester insensibles à la forte poussée qu’exerce une certaine psychiatrie, allant dans le sens avoué d’imposer un axe de pensée, d’orientation clairement médicale et biologique, comme réponse principale, si pas unique, aux difficultés de nos patients et aux malaises de notre société.

En tant que psychiatres, nous estimons que le temps est venu de réagir et de faire entendre que l’ensemble de notre profession ne partage pas cette façon de penser le psychisme humain.

 

Nous avons donc décidé de rédiger un Manifeste pour la Psychiatrie qui vise à préciser nos positions, afin de susciter un débat qui s’avère indispensable.

Ce Manifeste, [repris ci-dessous], a été envoyé en juin aux 800 Psychiatres Francophones que compte la Belgique, et a recueilli plus de 220 signatures. Il a également été envoyé (pendant les vacances !) à 500 Psychiatres Néerlandophones, et 50 ont déjà répondu favorablement.
Une Assemblée Générale Constituante, réunissant les signataires est prévue prochainement, en vue de définir les buts et les axes que nous voudrions suivre, ainsi que les actions que nous pourrions entreprendre.
(…)

Manifeste pour la psychiatrie

 

Nous, psychiatres signataires de ce manifeste, voulons exprimer ici notre inquiétude pour l’avenir de la psychiatrie en Belgique. En effet, nous sommes devant les constats suivants:

 

  1. D’une part, l’hégémonie grandissante des approches biologisante et comportementaliste et d’autre part le discrédit des orientations psychanalytique, systémique et psycho dynamique dans le champ psychiatrique. Ces dernières se voient régulièrement disqualifiées au point que les pouvoirs publics jettent la suspicion sur l’efficacité des institutions qui s’en réclament et remettent en question leur financement.
  2. L’envahissement du discours actuel par les vocables de « dépression, TOC, phobie sociale, dysphasie, hyperkynésie etc. » au point qu’il est devenu impensable pour nos contemporains d’exprimer les malaises de leur existence en d’autres termes.
  3. La publicité systématique pour un seul type de pratique (prescription de psychotropes assortie de thérapies comportementales…) qui vise la disparition des symptômes cibles. Se soutenant du manuel diagnostique de l’association des psychiatres américains (DSM IV), cette pratique entraîne l’identification d’un sujet à des symptômes répertoriés et l’appauvrissement de la relation clinique. En outre, elle interprète erronément la seule disparition des symptômes comme une guérison.
  4. La substitution d’une emprise bureaucratique à un contrôle de santé publique. Elle tend ainsi à réglementer la vie sociale et à contrôler nos pratiques en institution, pervertissant le sens même de notre action thérapeutique.
  5. La transformation de la psychiatrie en un marché dans lequel prospèrent les groupes pharmaceutiques qui subsidient journaux et congrès favorables à leur développement idéologique et économique. En conséquence, les prescriptions de psychotropes dépassent très largement leurs indications.
Nous déplorons également que:

 

  1. Le psychiatre praticien soit réduit au statut d’expert détenteur d’une technique et d’un savoir codifié applicable pour tous. La formation universitaire n’encourage plus le temps de l’écoute du patient. Ainsi se perdent la finesse des descriptions cliniques et la rigueur dans la construction des hypothèses étiologiques. Celles-ci se voient remplacées par le simple recueil de la présence de critères, exercice pour lequel une formation sommaire est suffisante.
  2. Le raisonnement psychopathologique tende actuellement en psychiatrie à être remplacé par (voire confondu avec) une description de troubles, fondée, elle, sur des constatations exclusivement comportementales.
  3. Une rhétorique fondée sur des prétendues « preuves scientifiques » affirme régulièrement l’étiologie biologique ou l’origine génétique desdits troubles. Ces affirmations sont répandues comme vérité par des publicités médicales, des leaders d’opinion et des conférences de consensus. Malheureusement, une réelle critique scientifique se fait rare alors que les dites preuves sont loin d’être apportées.
Nous désirons rappeler que :

 

  1. Tout diagnostic, en psychiatrie comme dans toute la médecine, reste une construction hypothétique qui ne peut se faire qu’au cas par cas. La clinique psychiatrique s’élabore à partir des symptômes dont un sujet témoigne. Elle ne peut jamais se satisfaire d’étiqueter un patient ni de justifier un traitement standardisé.
  2. Le premier et l’ultime traitement dans le champ psychiatrique est et sera toujours l’établissement d’une relation – que les psychanalystes nomment transfert – avec la personne en souffrance. Les psychotropes restent des traitements symptomatiques. C’est dégrader l’usage de la parole que d’en faire un simple adjuvant à la prescription médicamenteuse.
  3. Notre désaccord avec les conceptions qui désignent les désordres biochimiques ou les défauts d’apprentissage comme les causes essentielles des troubles dont se plaignent les patients et que dès lors il leur soit répondu exclusivement par une combinaison de médicaments et de techniques thérapeutiques comportementales.
  4. Notre refus que des logiques bureaucratiques, managériales ou commerciales tiennent lieu d’orientation à la psychiatrie. La régulation des dépenses de santé justifie certes des procédures de réglementation, mais il ne faut pas que la triade « évaluer, garantir et contrôler » vienne se substituer aux chaînes dont Philippe Pinel avait libéré les insensés dans le geste fondateur de la psychiatrie.
En conséquence, nous voulons que :

 

  1. La perspective scientifique en psychiatrie fonctionne comme source d’une constante remise en question, et non comme un dogme servant de pensée unique.
  2. La psychiatrie reste clairement démarquée des intérêts économiques, industriels et politiques.
  3. L’enseignement de la psychiatrie intègre des disciplines essentielles à sa compréhension critique telles la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, l’épistémologie des sciences, les