Annie Franck, « Beautés et transfert », Coll. « Psychanalyse », Editions Hermann, 2007, 104 p., 16 euros.

Une rencontre « fusionnelle » entre psychanalyse et art.

Dans son ouvrage de 1900 sur le « rire », le philosophe Bergson accorde une place centrale à la création artistique et à l’expérience esthétique, moyens d’accéder, selon lui, à la vérité ultime de l’objet. La psychanalyste Annie Franck emprunterait-elle un chemin similaire dans son ouvrage « beautés et transfert » lorsqu’elle exprime, paraphrasant Malraux, sa volonté de « rechercher la région cruciale de l’âme » ?

En évoquant l’histoire personnelle de deux patients, qu’à force d’élaborations poétiques on a grand peine à vulgairement nommer « vignettes cliniques », l’auteur nous fait partager le plus intime – et probablement le plus inhabituel pour un praticien – de son travail d’écoute: les moments où, installés dans le transfert de cette relation, la parole déliée ou le silence assourdissant d’un analysant, le surgissement intempestif d’un affect ou les surprenantes conséquences d’une interprétation font apparaître et éprouver au point de pouvoir la saisir ou la représenter, « la dimension tragique de la beauté ». Ces « instants d’analyse » participent, selon Annie Franck, à « l’émerveillement » de la séance peut-être en raison des liens indicibles qu’ils suggèrent dans l’inconscient du patient mais également chez celui d’un analyste, en quête incessante et exigeante d’une poursuite de son propre travail. A fortiori entre les interlocuteurs présents dans le cabinet. Heureux effets « d’une bonne communication entre les instances psychiques ». Lesté des incommensurables souffrances d’Hugo et de Lucien, l’auteur prend les commandes d’une palanquée admirablement maîtrisée et nous entraîne par le fond jusque dans les insondables abysses de la psyché: pesanteur des eaux à la fois troubles et chaudes des origines décrite par des expressions d’une rare intensité émotionnelle – la mystique ne les renierait pas – mais suffisamment ponctuées de multiples références artistiques pour borner et limiter les risques de perdition dues à la griserie des profondeurs. Curieuse et étrange aventure qui mêle pratique opératoire de la psychanalyse et immersion totale dans le monde de l’art. On ne s’en plaindra guère. Sans le revendiquer, le récit de cette expérience intérieure ne réussit pas seulement à nous combler. Il apporte également un puissant témoignage à la compréhension de la méthode psychologique d’inspiration freudienne: la symbolisation des expériences douloureuses au moyen de l’univers artistique, qu’il soit d’ordre pictural, corporel, musical ou lexical, demeure bien et pour longtemps encore le paradigme de la psychanalyse.