Avant de débuter ma première analyse, j’ai rencontré un certain nombre de personnes. Parmi elles, une des premières psychanalystes belge : Madame Lechat. Je me souviens encore de son intérieur désuet, de ses napperons et de son air calme et accueillant, enfoncée qu’elle était dans son fauteuil.
Au cours de cet entretien, elle précisa : « Il faut que vous sachiez que c’est un chemin long et difficile ». Le ton avec lequel elle m’a dit cela était rempli de bienveillance, il ne s’agissait ni d’un avertissement, ni d’une mise en garde mais plutôt d’une manière de m’aider à m’avancer en connaissance de cause, sans (trop) d’illusion sur d’éventuels aspects magiques de la psychanalyse.
Long et difficile… Aujourd’hui, à l’heure des fast food, des last minutes et des thérapies express, quand quelqu’un vient pour un premier entretien, il m’arrive de repenser à cette rencontre. Et, quand dans ma place d’analysant ou d’analyste, j’éprouve du découragement ; c’est également un des souvenirs dont je me remémore. Une petite phrase qui, très simplement, m’a indiqué quelque chose du temps psychique, si différent de celui des gestionnaires.
La durée d’une séance d’analyse varie en fonction de l’analyste (et de l’analysant diront d’aucuns). Certains analystes par décision de leur association ou par choix personnel font des séances de 45 minutes, d’autres de 30 minutes, d’autres de durée variable entre 30 et 45 minutes. D’autres encore pratiquent la séance courte à durée variable, proche du quart d’heure.
Quand quelqu’un vient pour un premier entretien, j’essaye, autant que possible, de lui proposer un moment où notre rythme ne sera pas tenu par le coup de sonnette suivant. Nous ne nous connaissons pas encore. J’ignore si cette personne est en attente d’une thérapie efficace qui en quelques entretiens supprimera son symptôme ; il faudra alors l’aider à découvrir et accepter la lenteur d’élaboration de l’être humain, lenteur nécessaire pourtant au changement. Peut-être cette personne va-t-elle s’effondrer et il faudra lui indiquer que la fin de l’entretien ne marque pas la fin de tout et que, si elle le désire, nous pouvons poursuivre ce qui a été initié, et, que d’entretien en entretiens, une continuité peut se créer. Chaque nouvelle rencontre est une nouvelle rencontre : bien d’autres cas de figure peuvent donc se produire. D’avance je n’en sais rien.
Habituellement, je mène (qui mène qui ? qui suit qui ? … ) des séances de 40, 45 minutes. Le temps de l’analyse, c’est à la fois le temps de toute la cure, les intervalles entre les séances mais aussi le temps de chacune des séances et il m’importe que ce temps soit suffisamment long pour que l’on puisse prendre son temps. A l’analysant qui tient à ne dire que des choses importantes – mais pas à lui seul – il faut inviter aux chemins de l’association libre ; ce sont ceux de l’école buissonnière. Comment pourrais-je indiquer cela si nous n’avons pas le temps d’en avoir suffisamment pour le perdre ; ou du moins croire qu’on le perd.
La durée de la séance fait partie du dispositif, du cadre comme nous disons. Mon travail est possible pour autant que ce cadre aie la même assise, la même solidité, le même confort que le dossier du fauteuil auquel je m’appuie. Plusieurs éléments constituent cette assise. La durée fixe des séances est l’un d’entre eux. Cette durée fixe m’empêche d’arrêter la séance à un moment qui touche une de mes difficultés inconscientes, un des résidus non réglés chez moi. Et justement, si je suis agacé, irrité ou si je m’ennuie ; je m’oblige ainsi à penser en quoi ce qui se passe me touche, je me mets en position de relancer le mouvement de ma propre analyse et donc d’écouter de manière plus libre cet analysant.
Dans notre époque de l’urgence et de la transparence, l’analyse reste un lieu presque de résistance – au sens militant – de l’intime. Non, je ne crois pas que cela aide quiconque d’étaler sa vie dans des émissions, journaux ou livres à sensation. Notre vie intérieure est fragile et précieuse, la manière dont nous pouvons la découvrir, la nourrir, s’y nourrir… nécessite également de ne pas être pressé.
J’ai été en analyse chez une analyste qui menait des séances de 45 minutes, un autre de 30 minutes, une autre encore de durée variable entre 30 et 45 minutes. Chaque fois, ces différentes durées m’ont offert un cadre permettant le travail. Preuve en est que la durée des séances ne fait pas l’analyse. Jamais cependant je n’aurais accepté, ni supporté des séances courtes. Mais peut-être est-ce justement lié à mon symptôme ?
Bruxelles, le 1 septembre 2005