Elisabeth Berthou | Le Courrier International | 28 septembre 2006

Alors que l’armée israélienne peine à se retirer du Liban et tandis que les soldats de la FINUL s’installent dans les zones à risques du pays, de part et d’autre de la frontière on se livre à la triste comptabilité des morts et des blessés. En parallèle, un autre bilan reste à faire : celui des individus souffrant de ce qu’on appelle le stress post-traumatique, qui s’installe chez les plus fragiles ou les plus exposés à la suite de chocs psychologiques liés notamment aux accidents et aux guerres.

Dans cette perspective, le journal beyrouthin L’Orient-Le Jour soulève le problème de la résistance psychologique des enfants dont les familles sont proches du Hezbollah. Or il semble que "les convictions religieuses protègent les enfants contre les traumatismes de la guerre", annonce le quotidien à la lumière d’une récente enquête. "Insomnie, cauchemar, anxiété, irritabilité, agressivité, repli sur soi et même amnésie sont les symptômes les plus répandus chez les enfants qui ont traversé des épisodes de violence et d’horreur. Mais la force morale des parents et l’admiration qu’inspirent aux familles les chefs du Parti de Dieu sont de puissants palliatifs", affirment certains thérapeutes.

Une assertion confirmée par la psychologue Ola Ataya, qui coordonne le travail d’une association laïque de secours psychosocial dans des camps de déplacés à Beyrouth, et qui déclare avoir été frappée par "la sérénité émanant des familles chiites animées par l’idée du sacrifice chère au Hezbollah". "Hassan Nasrallah a accompli l’essentiel du travail de soutien psychologique durant la guerre", ajoute-t-elle en souriant, "mais maintenant c’est à nous d’agir".

De son côté, la psychanalyste Anicée El-Amine Merhi, qui participe à l’élaboration d’un plan de soutien psychologique au Liban, précise que le degré de déséquilibre des enfants dépend de l’attitude des parents. "Si les parents sont là et protègent leurs enfants, ils peuvent minimiser les dégâts, déclare-t-elle. Cela ne signifie pas que l’événement ne sera pas enregistré dans l’inconscient, mais ce ne sera pas de manière pathologique." Par ailleurs, pour cette praticienne, il est particulièrement notable que "la foi dans la victoire contre un ennemi offre aux sympathisants du Hezbollah une équanimité face aux malheurs, et cette attitude procure à leurs enfants un sentiment de protection".

Ces propos réclamant quelques éclaircissements, ceux-ci sont apportés par le Pr Walid Oueini, qui enseigne la psychologie à la Lebanese American University de Beyrouth. "Les enfants dont les parents étaient hostiles à ce conflit avec Israël, qui ont entendu des explosions et ont vu des destructions à la télévision, sont parfois sujets à une angoisse plus effrayante que ceux qui ont subi directement la guerre." Puis, rejoignant l’opinion de sa consœur, Walid Oueini déclare : "Chez les partisans du Hezbollah, ils sont tous sur la même longueur d’onde, à savoir que la guerre et les destructions valaient la peine."

Les enfants dont les parents sont sympathisants du Hezbollah auraient ainsi acquis un renforcement psychologique dû à la transmission de convictions profondes – y compris l’idéologie de "résistance" à l’égard d’Israël. Cependant, les conséquences découlant de cette organisation psychique singulière représentent un grand danger, prévient le Pr Oueini. "La guerre et la mort sont pour un enfant l’équivalent d’un abus sexuel. D’un côté, l’enfant devient mûr, conscient des choses de manière prématurée et, de l’autre, c’est toujours un être naïf. Il a découvert la mort, le sang et pourtant c’est un enfant qui a besoin de jouer." En lui inculquant la colère et la revanche par l’intermédiaire d’attitudes ou de comportements extrêmes, on oublie que pour la construction identitaire de l’enfant, "il est fondamental qu’il sache qu’il y a autre chose que la violence, car il ne peut assumer ce lourd fardeau".