L’autisme est un trouble du développement dont l’étiologie précise encore inconnue, est quasi certainement plurifactorielle. Une prédisposition à base biologique est très probable, tout autant que son caractère inné décrit dès le départ par Leo Kanner en 1943. La gravité du trouble, tout autant que la grande diversité des profils cliniques des enfants  présentant des troubles de la relation, de la communication et des intérêts, a motivé des recherches variées dans tous les métiers concernés par le soin aux enfants. Après soixante ans de travail, il semble que nous puissions maintenant concevoir une synthèse des monceaux de connaissances accumulées dans les nombreux domaines concernés par les troubles du développement.

Au cours de ces années, des échecs. Et dans les années à venir des échecs sont encore possiblement à prévoir. Qu’entendre par échec ? La terrible déception de voir l’enfant ne pas se saisir de ce qui lui est offert : l’amour de ses parents, l’attention des soignants,  le langage, l’autonomie…

Tandis que Bruno Bettelheim vendait à des milliers d’exemplaires  sa « forteresse vide » et proposait une hypothèse étiologique fondée sur son expérience catastrophique et traumatique des camps de concentration,  certains psychanalystes d’enfants, plus discrètement, travaillaient en étroite collaboration avec les enfants et leurs familles, et réfutaient la causalité qu’il proposait et qui culpabilisait inutilement les parents. Avec Donald Melzter qui publie en 1975   « l’exploration dans le monde de l’autisme » et Frances Tustin, de l’école anglaise, les psychanalystes français ont en effet très tôt reconnu la butée que constitue la prédisposition particulière des enfants, et qui est maintenant confirmée par les données balbutiantes de la neurobiologie et de la génétique. Ils ont pu proposer des éléments de compréhension étayés sur l’expérience des enfants eux-mêmes,  auxquels viennent s’adjoindre  les témoignages des autistes adultes  comme Temple Grandin et Donna Williams.

Oui, le psychanalyste du XXI siècle aide les personnes avec autisme et leurs familles.

Mais, il n’est pas seul.

Il travaille avec la mère, le père, le généticien, le neurologue, le pédiatre, l’orthophoniste, le psychomotricien, l’éducateur, l’infirmier. Ensemble pour tenter de comprendre et de relever ce défi que nous lancent ces enfants, qui ont l’air parfois si « normaux » dans leur berceau et qui prennent un chemin étrange, semé de douleurs.

Qu’il s’agisse du diagnostic et de l’évaluation qui le confirme, ou de la prise en charge, de nombreux professionnels sont convoqués après d’un patient avec autisme.

La psychanalyse apporte une dimension qui est fondamentale car elle met l’accent sur un aspect essentiel de tout humain, qui est qu’il se construit dans la relation à un autre humain. Les troubles de l’enfant autiste sont définis comme des altérations qualitatives des interactions et de la communication. Il s’agit de s’adapter, de comprendre profondément ce qui se joue pour l’enfant, d’aménager la rencontre pour que l’enfant autiste, dans la relation, puisse intégrer et assimiler toutes les expériences que la vie lui permet de faire.

Les théories psychanalytiques se construisent comme des hypothèses de travail à partir des ressentis des patients et des observations empathiques recueillis dans les traitements.

Ces dernières années apparaissent très régulièrement des éléments de concordance entre les données fournies par les neurosciences à partir d’observations et d’expériences et les théories psychanalytiques. Ces points de convergence sont tout à fait passionnants, car loin de s’opposer, ces différentes approches scientifiques décrivent bien le même phénomène et donnent des éléments de compréhension  pour poursuivre le travail et la recherche.

Ce qui reste irréductible, quelque soit la science évoquée ou invoquée, c’est le gouffre d’ignorance devant lequel nous nous trouvons pour répondre à la question: pourquoi ?

Pourquoi mon enfant ? Pourquoi moi ?

C’est aussi toutes ces questions que le psychanalyste peut entendre dès que le trouble dit envahissant du développement se profile.

Quand jour après jour, il semble que l’enfant tant investi se dérobe à nos attentes, l’inquiétude vient troubler le bonheur qu’il y aurait à partager. Un bébé qui détourne son regard, ne répond pas au babillage de son entourage, décourage. L’inquiétude est d’abord portée secrètement par les parents comme une mauvaise pensée, une pensée qui pourrait faire venir du malheur. Ils sentent les premiers que quelque chose ne va pas dans la relation avec le bébé.

C’est précisément ce quelque chose à quoi les psychanalystes sont très sensibles. Cet espace psychique qui se crée entre les personnes, c’est l’espace entre le bébé et sa mère, entre le bébé et son père, comme l’espace entre le patient et l’analyste, c’est-à-dire un espace dans lequel une relation duelle peut s’installer et conduire à l’individuation.

C’est pourquoi, nous pensons que nous devons intervenir très précocement auprès de ces dyades et ces triades inquiètes pour réanimer une relation parent bébé, tellement mises à mal par le bébé en risque autistique.

Quelque chose appartient en propre au bébé dans l’autisme qu’il va développer, tout ne vient pas de la mère, ni du père, loin s’en faut. Ce n’est pas parce que nous pouvons nous appuyer sur la mère ou sur le père dans les traitements, que nous les tiendrons pour responsables quand nous ne pouvons éviter que le risque autistique ne devienne un autisme confirmé.

Nous ne pourrons pas toujours éviter une évolution autistique malgré des soins précoces, mais nous pouvons dans tous les cas apporter des éléments de compréhension qui permettent de soutenir les efforts de développement de l’enfant, en limitant l’effet invalidant des défenses autistiques que l’enfant développe pour contenir ses angoisses principalement corporelles.

Lorsqu’on est un parent. Quand faut-il s’inquiéter ?  Ne peut on faire un peu confiance à son enfant ? Et quand on n’a pas d’expérience, à qui faire confiance ?

Les parents se sentent toujours coupables de ce qui arrive à leur enfant, les psychanalystes n’ont rien inventé. Les parents sont concernés par leur enfant, ils ont eu le désir d’un enfant, mais sûrement pas le désir d’un enfant autiste. De cet écart peut naître une culpabilité, que le psychanalyste ose entendre.

Du côté de l’enfant,  la prise en charge psychanalytique doit être combinée à une approche éducative spécifique, qui tient compte des terribles appréhensions qu’ont ces enfants en raison de leur incompréhension du monde animé qui est pour eux imprévisible. L’expérience acquise depuis une trentaine d’années nous permet d’envisager l’autisme comme une panne développementale initiale entraînant la non-constitution des premières constructions du moi corporel et des premières enveloppes. Le débordement émotionnel qui résulte de ce défaut de contenance gêne l’organisation des perceptions sensorielles et génère des particularités cognitives

Quand l’autisme est une forme d’identité pour l’enfant, l’adolescent ou l’adulte, c’est à dire quand les particularités du fonctionnement cognitif de l’enfant ont construit son mode d’être au monde de façon originale, que peut le psychanalyste ?

Comme pour tout sujet venant s’adresser à lui, il tente avec lui de comprendre sa vie psychique, et de la lui expliquer. Il lui prête son appareil à penser, le soutient dans le travail qu’il fait pour tenter de se comprendre, afin d’occuper une place dans un monde où les autres sont si différents de lui. Mieux se comprendre, pour mieux contenir ses émotions et trouver une meilleure harmonie dans la construction de la personnalité, c’est le projet du travail analytique.

Paris, décembre 2007

Plus d’information sur le site de la Cippa (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s’occupant de personnes avec Autisme  – association 1901)