Les lois bioéthiques de nombreux pays ont eu à décider s’il était admissible, au regard des valeurs de leur société, qu’une femme décide d’apporter son aide à une autre femme qui, pour des raisons d’ordre médical, ne pouvait porter d’enfant. Dans le scénario moderne de gestation pour autrui (GPA) dont il est question depuis la fécondation in vitro : une femme, elle même mère de ses propres enfants, décide de porter, pour un couple qu’elle a choisi des embryons qui lui sont étrangers, tant à elle qu’à son compagnon. Une seconde mère assure ainsi dans le cadre de ce protocole de médical la seule gestation du bébé, et ce pour un couple de parents d’intention qui sont le plus souvent également les parents génétiques, l’embryon ayant été conçu avec leurs gamètes. Ce protocole de « maternité partagée » pose deux questions majeures, l’une psychologique et éthique, l’autre juridique.
La première consiste à s’interroger en psychanalyste sur la définition même de la maternité. Ce terme est, en français, très ambigu : il désigne autant le fait d’être mère que le lieu où on accouche ! Il ne correspond en tous cas nullement au processus psychique du « devenir mère ». Freud avait à sa disposition, en allemand, trois mots différents pour en parler; l’anglais pour sa part en possède deux (maternity et motherhood). Pour la metapsychologie, la « maternalité» (traduction de motherhood) est un processus de maturation psychique qui est loin de se calquer de manière simple sur la grossesse et sur l’accouchement. Il s’agit d’une crise d’identité, d’un stade maturatif du psychisme humain ; ce terme désigne l’ensemble des processus affectifs qui, dans les cas habituels, se développent et s’intègrent chez une femme à l’occasion de la grossesse et de l’accouchement. Mais la clinique psychanalytique montre que s’il n’existe pas l’étayage psychologique que trouve en principe une femme enceinte dans son entourage – à commencer évidemment par celui du futur père- ce processus psychologique peut «s’enrayer» et on rencontre alors différents troubles du pré- et du post- partum, sans compter les pathologies de ces maternités qui «avortent» dans tous les sens du terme. La théorie psychanalytique ainsi que le suivi de femmes enceintes montre de manière claire qu’une femme ne devient pas mère, comme par magie, le jour où elle accouche et c’est un postulat simpliste de penser que la grossesse constituerait l’alpha et l’omega de la maternité. On connaît par ailleurs le cas de l’adoption au cours duquel une femme peut vivre le processus psychique de la maternalité sans avoir vécu ni grossesse ni accouchement.
La gestion pour autrui amène, on le voit, à réinterroger les fondamentaux du «devenir mère ». Car l’amalgame opéré trop facilement entre état de grossesse et maternité a induit une représentation biaisée qui parasite la compréhension de la gestation pour autrui dans le contexte totalement nouveau de l’ère post-FIV qui a fait « éclater » la notion même de maternité en trois personnes éventuellement différentes : la mère génétique, la mère utérine, et la mère d’intention. La question psychologique devient alors la suivante : il s’agit d’analyser l’élaboration mentale de cette mère seulement gestatrice vis-à-vis d’un fœtus qu’elle porte mais qu’elle ne désire pas puisqu’il n’est pas le sien car ellea décidé, dès avant la grossesse, de le rendre au couple qui l’a conçu.
Il est significatif de rapporter à ce débat le fait qu’actuellement dans les sociétés occidentales, 15% des mères qui accouchent dans des conditions normales font des dépressions post-natales –différentes du post-partum blues, trouble sans gravité-, pathologies sévères susceptibles d’avoir des conséquences à long terme sur la relation mère /enfant. Or les études britanniques pionnières qui ont suivi des cohortes de gestatrices, plusieurs années après une GPA ont montré qu’aucune de ces mères n’avait souffert de dépression post-natale. Il est également intéressant de réfléchir au fait que, pour un enfant, naître dans une situation de gestation pour autrui dans laquelle il est relié de manière naturelle à ses parents (quand l’embryon a été conçu avec les gamètes des parents d’intention) est peut-être une situation moins compliquée que celles qui existent dans certaines des formes de dissociations de la parentalité prévues dans la loi bioéthique, tel par exemple le protocole d’ «accueil d’embryon» dans lequel une femme porte, dans le cadre d‘une FIV, un embryon donné par un autre couple. Quant à la procédure de don d’ovocytes, également autorisée par la loi, elle est aussi fort instructive à mettre en parallèle avec la gestation pour autrui : dans ce dernier cas on replace chez la future mère un embryon conçu avec l’ovocyte d’une donneuse -en général anonyme-, et le sperme du futur père : cette mère est donc enceinte d’un embryon qui lui est à demi-étranger. Or si la grossesse et l’accouchement constituaient l’élément primordial de la maternité, il n’y aurait aucun problème psychologique d’acceptation de ces situations : la clinique montre cependant que la réalité est moins simple et que les ovocytes ou les embryons donnés ne se « dissolvent pas » si facilement dans la grossesse…
La seconde question est d’ordre juridique et les pays qui ont légiféré ont pris des options différentes. Bien que le Code civil français ait déclaré nulle « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui », il est possible de penser de penser que la France n’a pas complètement fermé la porte à cette technique aujourd’hui admise dans de nombreux pays. Car le texte qui prohibe la GPA trouve son fondement dans la volonté d’éradiquer les pratiques des « mères porteuses » datant d’avant la FIV. Il est extrait des motifs de la Cour de cassation de l’arrêt Alma Mater, par lequel, en 1991, les magistrats avaient, fort justement, refusé de prononcer l’adoption d’un enfant né à la suite de l’insémination d’une « mère porteuse » par l’épouse du père d’intention. Mais il s’agissait alors d’une GPA “traditionnelle” datant d’avant la FIV, pratiquée par insémination hors de tout circuit hospitalier et sans que soit posée d’indication médicale d’infertilité chez la mère d’intention. Tout ceci est radicalement différent maintenant.
Le moment nous semble ainsi venu d’admettre légalement une forme de gestation pour autrui qui ne contredira aucun des droits fondamentaux des pays développés. Il semble en ce sens essentiel que soient délimitées clairement les indications médicales de la gestation pour autrui (par exemple l’hystérectomie ou l’absence congénitale d’utérus) et que la loi statue sur un protocole de gestation pour autrui par fécondation in vitro au terme duquel la gestatrice ne soit pas la mère génétique, l’ovocyte étant soit celui de la mère d’intention soit celui d’une donneuse.
La gestation pour autrui moderne permet en outre de jeter un fantastique coup de projecteur sur le lien parental moderne composé de la participation génétique de l’un ou des deux parents et de la part de la grossesse, le tout sur fond de projet parental, de volonté et de responsabilité éducative.
Paris, le 2 juillet 2008 – Dernier livre paru : Famille à tout prix, Seuil, 2008.