Dans le cœur des hommes – Serge Hefez – Editions Hachette Littérature 305 p – 19€
Dans son ouvrage « La confusion des sexes » (Flammarion, Café Voltaire), le psychanalyste Michel Schneider constatait, pour le regretter, « un effacement de la différence entre hommes et femmes et une perte de l’attrait pour le sexe chez les jeunes générations », le premier phénomène hautement responsable, selon lui, du second. Une désexualisation essentiellement masculine avec, à grand renfort d’une publicité « massivement infantophile », une tendance à promouvoir la douceur chez un homme qui serait de nos jours apparemment condamné pour sa virilité.
Après cette inflexible mise en accusation, parole se devait d’être donnée à la défense. C’est désormais chose faite avec l’ouvrage du psychanalyste Serge Hefez: un véritable plaidoyer pour un homme moderne, débarrassé des injonctions sociales et éducatives d’une virilité « dominante et brutale » et à même, lui aussi, de découvrir les joies, doublées des bienfaits pour l’harmonie de son couple, de la pure émotion. En bon clinicien, l’auteur évoque le destin de ceux et celles reçus en consultation, qui « s’interpellent sur leurs rôles sociaux » et se « bagarrent dans leurs inconscients » sur ce que « doit être un homme ou une femme ». Dans cette interrogation fondamentale et mutuelle, l’auteur admet un léger avantage pour la femme : cette dernière réfléchit depuis plus longtemps que son partenaire masculin aux mystères de sa nature et aux incertitudes de sa condition. Sans pour autant, comme l’on sait depuis Freud, trouver les réponses satisfaisantes.
A la question « comment l’émotion vient aux garçons », l’auteur répond évidemment : par l’éducation qu’ils reçoivent. Les « bébés, explique-t-il, grandissent dans un monde d’interprétations et de projections émotionnelles des adultes qui prennent soin d’eux ». Langage lato sensu hautement « sexué » des parents – et de leur entourage – bien avant la naissance puisque des résultats de l’échographie vont dépendre le discours, les gestes, les vêtements, les jouets, la couleur des papiers peints de la chambre, sans « parler » bien évidemment du choix du prénom. Lorsqu’il évoque l’attribution d’émois parentaux « à des enfants bien trop jeunes pour les ressentir », Serge Hefez fait probablement sienne la théorie de la séduction du Pr. Laplanche : celle des « messages énigmatiques », expression, notons le au passage, qui a remplacé celle de « signifiants énigmatiques » au connotations beaucoup plus lacaniennes. Ces derniers sont implantés inconsciemment chez l’enfant par des adultes à la sexualité compromise à leur tour, comme le précise le psychanalyste libanais Amine Azar, par leur « propre sexualité infantile refoulée ». Par des « adultes » et pas seulement par des « parents », notion usitée par Ferenczi qui vient considérablement élargir la perspective ouverte par le corpus freudien sur le concept clef de « l’Œdipe ». On en devine dans la pratique courante tous les dégâts.
La tristesse fait pleurer la petite fille, pense la mère mais c’est la colère, croit-elle encore, qui justifie celle du garçon. Le sexisme des enfants bat son plein, ajoute Serge Hefez, entre deux et six ans, époque à laquelle ils « subissent tous les stéréotypes ». Si la libido est, selon Freud, d’essence masculine, la sensation d’être et d’exister serait au contraire, selon Winnicott cité par l’auteur, un « élément féminin ». Inadmissible donc dans l’éducation traditionnelle du jeune garçon, laquelle préfère le « mutiler gravement et le rendre incapable d’avoir un rapport d’intimité avec une femme en le cantonnant dans une sexualité « brute ». Or, c’est justement par le partage d’une « fonction paternelle » devenue plus « parentale », facilitant par surcroît davantage l’introduction du rôle du père par le discours maternel, qu’un environnement réussi permettrait aux garçons « d’intégrer leur bisexualité psychique sans être effrayés de la sentir ressurgir en eux ».