Olivier Douville, De l’adolescence errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités, 68 pages, 8€, Nantes, Plein Feux (distribution PUF), 2007.

Ce livre paraît dans la collection « L’impensé contemporain », que dirige Gérard Laniez.Son auteur est un de ces trop rares psychanalystes qui bénéficie d’une vraie culture en anthropologie, comme en témoigne son implication dans l’Association Française des Anthropologues. Il enseigne également à Paris-10 Nanterre où il défend, envers et contre tout l’anthropologie clinique.

Le point de départ de ce texte, court mais dense, décrit les conditions d’accueil et d’écoute de jeunes en errance, que ce soit dans le cadre d’une consultation « psy » en banlieue parisienne ou dans un travail mené avec des adolescents et des enfants « des rues » en Afrique de l’Ouest.

Il s’agit bien d’aller vers ces jeunes qui redoutent d’être fixés dans un seul lieu, une seule demeure. Et pour lesquels l’errance n’ouvre sur aucun abri, tant l’espace semble se rétrécir à deux dimensions, sans perspective, et le temps se figer à mesure que sont refusés le risque des rencontres. Le rapport qu’ont ces jeunes au langage est fort justement décrit, en des termes poignants, il semblerait bien que pour eux formuler une demande ou être l’objet d’une demande soit ressenti comme un menace extrême. Il est donc erroné d’attendre que ces jeunes demandent quoi que ce soit pour aller vers eux, tant le vif de leur souffrance psychique que cache à peine une apathie rebelle provient de leur non inscription dans ce registre, ce, souvent dès la plus tendre enfance.

L’errance est un terme très et trop large. L’auteur, s’il ne l’a pas déconstruit, sait en donner une définition claire qui la distingue de la fugue (qui contient toujours une promesse de retrouvaille) ou de la simple expérimentation de l’espace, faite de façon plastique et ludique – sur quoi F. Chobeaux avait écrit un bon livre Les nomades du vide . On peut même penser que c’est à des échecs de ce qui fait mouvement dans l’errance qu’il consacre son travail, tant il nous raconte, avec élégance et clarté, comment il prend soin des naufragés de l’errance. Cela nous vaut des passages d’une grande justesse de ton sur le rapport de ces jeunes au corps, au sexuel et à la mort. Ils se vivent comme rejeté par autrui, et d’un point de vue structural on fera, avec Douville l’hypothèse qu’ils se positionnent comme étant vomi par l’Autre, ce qui assure à ce dernier une consistance « dure » et menaçante. Evidemment une clinique expéditive verrait en ces jeunes des phobiques sociaux, ce qui serait une ânerie, surtout dans la mesure où il semble bien, à lire les fréquentes notations cliniques de ce bon livre, que la plupart d’entre eux n’ont pas pu mettre en place une phobie normale lors de l’entrée dans la période de latence.

On aurait pu craindre une lecture trop psychologique ou trop psychopathologique d’un phénomène qui, pour paraphraser G. Devereux, connaît ses motifs sociologiques et ses motifs psychologiques. Il n’en est rien. Prenant appui sur les avancées de l’anthropologie du contemporain, l’auteur met en lien ce rapport catastrophique à l’espace et au temps avec « la structure même des échanges et des dispositifs de parole ayant cours dans le social ».

L’auteur insiste alors sur quelques modalités du soin psychique dans la clinique avec des adolescents, en effet, l’errance « à bout de souffle » nous contraint à créer de l’espace, de présenter des places stables, des altérités langagières.

« Avant le transfert… le contact », avait déjà écrit l’auteur dans un volume de la collection « Le Bachelier » chez Eres (in Le transfert adolescent sous la direction de D. Lauru). Cette intuition juste trouve ici son prolongement et son développement. Et des propositions de mise en place dispositifs cliniques sont faites par Douville. Ce livre qui illustre et défend la psychanalyse et l’anthropologie plaide aussi pour l’institution.

Un essai nécessaire, parfois ardu dans sa lecture en dépit des trouvailles verbales dont il n’est pas avare, et souvent novateur. Recommandé vivement à tous les professionnels du soin et du travail éducatif qui vont à la rencontre des jeunes en situations précaires.

Guy Jehl