Dès les années 1990, les pionniers du virtuel lui ont associé trois caractères : l’immersion, l’interactivité et la possibilité de rencontres réelles (1). Mais le développement des espaces virtuels permet aujourd’hui de s’apercevoir que ces trois caractères n’ont pas le même statut : l’interactivité est au cœur de la relation virtuelle, la possibilité de rencontres réelles constitue le pôle réalitaire de cette relation, et l’immersion en serait plutôt le pôle imaginaire.

L’immersion peut d’ailleurs être acceptée ou refusée, comme le montrent les attitudes des joueurs de jeux vidéo. Certains privilégient ce qu’on appelle « le jeu en première personne » : le monde est vu à travers les yeux de l’avatar de telle façon, par exemple, qu’un mouvement de sa tête vers le bas lui montre ses pieds tandis qu’une rotation lui montre ce qui est à côté de lui. Au contraire, d’autres joueurs privilégient le contrôle des diverses jauges indiquant la force, l’endurance ou les pouvoirs magiques de leur avatar, ainsi que les diverses cartes, graphes et indications qui permettent de le situer dans un espace géographique, une équipe, voire dans une temporalité si l’épreuve en cours est accomplie en durée limitée. Il existe même des jeux dans lesquels le joueur n’a affaire qu’à des courbes de natalité, de croissance, de conquêtes ou de défaites… Lorsque le joueur joue « en première personne », il favorise indiscutablement son immersion dans l’imaginaire du jeu. Mais lorsqu’il n’a d’yeux que pour les jauges et graphiques qui lui indiquent la position dans l’espace de son avatar et l’état de ses compétences, tout est différent. Le spectateur qui regarde l’écran ne voit que des monstres diversement armés, alors que la plupart des joueurs ressemblent à des pilotes d’avion de chasse devant leur pupitre de commande !

Le virtuel nous oblige ainsi à choisir à tout instant entre deux postures opposées. Le plus souvent, nous oscillons de l’une à l’autre, et c’est dans cette oscillation que nous trouvons nos repères et notre jouissance. Mais que l’une des deux attitudes l’emporte définitivement et le danger surgit : si c’est la gestion sur un mode réalitaire, la posture ludique disparaît. Si, au contraire, c’est l’immersion, les repères de la réalité risquent de s’effacer. Une fois de plus, c’est le va-et-vient entre une attitude « à l’intérieur des images » et une autre « devant elles », qui est la clé du bonheur qu’elles nous procurent.

(1) Quéau P., op. cit.