Ma rencontre avec la psychanalyse est double et aura marqué toute mon existence.
Ce fut d’abord une rencontre intellectuelle, par la découverte de Freud et de Lacan, mais qui a eu immédiatement des conséquences pratiques. Lesquelles ? Au moins une vigilance, depuis la “découverte de l’inconscient”, à l’égard de toutes mes actions : dans mon rapport aux femmes (aucune assurance sociale n’efface le désir, aucune posture ne permet de maîtriser l’autre, etc.), aux enfants (éduquer n’évite ni la liberté ni la règle : conscience au moins de la “tâche impossible”) et à l’écriture (pas de vérité philosophique en surplomb, d’où l’obstination à plonger dans l’écriture de la fiction – que le discours philosophique est lui-même … sans le savoir).
Ce fut ensuite une rencontre en acte, dans une psychanalyse que j’ai menée durant plus de tois ans et dont les effets de déplacement sont pour moi certains. Déplacements qui touchent à ma vie la plus immédiate dont je n’ai pas à faire la confidence ici, mais dont je peux sans doute marquer l’importance par ceci que : je ne sépare plus l’angoisse du désir; ce qui me semble-t-il ne signifie pas autre chose que : je ne sépare plus le langage du réel (au sens de Lacan : ce qui fait retour, ce à quoi je me cogne, ce qui fait trou…). Bref, que le désir ne me passionne plus (n’entraîne mes amours et mes projets) que dans la vigilance de l’angoisse, voilà d’un mot ce qui doit témoigner du bouleversement qu’entraîne l’intrusion de la psychanalyse dans une existence, dans mon existence.
Plus généralement, la croyance de plus en plus dominante que les déterminismes génétiques pourraient expliquer intégralement la vie (pas seulement la maladie) mentale me paraît une menace proche des projets totalitaires de type nazi, menace que seule la psychanalyse est en mesure de conjurer.
Eric Clémens, philosophe (Bruxelles, avril 2006)