Gilbert Charles, Régis de Closets | L’Express|11-05-2006

A mesure qu’ils avancent dans l’exploration de la machinerie cérébrale, les neurobiologistes découvrent qu’elle obéit à des lois beaucoup plus complexes qu’ils ne l’imaginaient. Et que la vie mentale dont elle est le terrain confirme, des rêves au langage ou à l’imagination, nombre des intuitions du père de la psychanalyse. La fin, peut-être, d’une vieille querelle

 

 Au centre «émotion» de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Depuis deux ans, une quarantaine de patients essaient d’y soigner leurs angoisses et leurs phobies en s’immergeant dans des mondes virtuels représentant leurs pires cauchemars

Casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, un homme en survêtement avance à tâtons dans une pièce plongée dans la pénombre au deuxième étage d’un pavillon de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. André, 40 ans, souffre depuis des années d’une phobie maladive des hauteurs: il panique à l’idée de s’approcher d’une fenêtre ou de traverser un pont. Médicaments, psychothérapies, il a tenté sans succès tous les traitements avant d’arriver ici, pour essayer de conjurer sa peur au milieu d’un paysage artificiel en trois dimensions. Depuis quelques minutes, front en sueur et gestes hésitants, il avance péniblement sur un chemin escarpé au bord d’une falaise, guidé par la voix du thérapeute qui l’encourage dans les écouteurs: «Allez-y, avancez encore quelques pas, vous pouvez y arriver.»

Depuis deux ans, une quarantaine de patients souffrant de troubles d’angoisse et de phobies liés à la hauteur, à la foule, à l’enfermement sont soignés au centre «émotion» de la Pitié. Adressés par des psychiatres de l’hôpital ou du secteur privé, ils viennent s’immerger dans des mondes virtuels reproduisant leurs pires cauchemars: villes désertes, châteaux, ponts suspendus… Un monde habité par une sympathique araignée est même réservé aux arachnophobes. «Ces environnements stimulent toutes les formes de perception sensorielle et permettent aux malades de se confronter au plus près à leurs angoisses, explique Roland Jouvent, chercheur au CNRS et directeur du centre «émotion». On leur donne des missions à accomplir: ouvrir des portes, trouver le cinéma dans la ville, pour les inciter à avancer. L’essentiel est qu’ils arrivent ensuite à mieux gérer leur peur dans le monde réel.»

Bon anniversaire, cher Sigmund Freud! Le père de la psychanalyse, dont on fêtait, le 6 mai, la naissance, il y a cent cinquante ans, doit se retourner dans sa tombe. Les neurobiologistes, qu’il avait toujours tenus en piètre estime, viennent désormais empiéter sur son territoire. Ils ne se contentent plus de soigner les lésions cérébrales, la maladie d’Alzheimer ou celle de Parkinson, voilà qu’ils s’intéressent à des troubles apparemment non organiques qui relevaient jusque-là surtout du divan des analystes. Comme les phobies, les obsessions, ou encore la dépression, la pathologie mentale la plus répandue, que des médecins canadiens ont entrepris de soigner à l’aide d’électrodes implantées dans le cerveau.

Les chercheurs de l’université de Toronto ont en effet localisé un défaut d’activité dans des aires limbiques des patients neurasthéniques, dans une zone qui commande la satisfaction des besoins fondamentaux comme l’appétit, la libido et le sommeil. Ils ont proposé à des patients gravement dépressifs, rescapés du Prozac et des cabinets de psy, de les opérer pour installer dans cette zone un stimulateur électrique relié à un pacemaker – selon une technique mise au point pour arrêter les tremblements des parkinsoniens – afin de redonner du tonus à leurs neurones fatigués. Ces derniers mois, 12 malades ont été «branchés», dont 8 montrent les signes d’une nette amélioration.

Les «neuros» auraient-ils définitivement pris le dessus sur les «psys»? A première vue, tout le laisse penser – mais les apparences peuvent être trompeuses. Depuis plus d’un siècle, ces frères ennemis n’ont cessé de se tourner le dos ou de s’affronter par doctrines interposées. Freud avait été un brillant neurologue dans sa jeunesse, avant d’abandonner brutalement cette voie et de mettre à l’index une bonne partie de ses écrits. Considérant que cette discipline balbutiante ne pouvait expliquer le fonctionnement de la pensée, il a préféré en chercher les rouages, non pas dans la machinerie cérébrale, mais à travers la parole de ses patients. Ses héritiers se sont repliés sur le dogme de l’inconscient en continuant à bouder les neurosciences, considérées comme réductionnistes et incapables de dire quoi que ce soit sur les émotions, la personnalité, la motivation.

De leur côté, les scientifiques «durs» ont eu le même mouvement de rejet envers la théorie freudienne, jugée bavarde et fumeuse, défendant l’idée d’un «homme neuronal», produit de sa biologie et programmé pour penser, en promettant même de «tordre le cou aux beaux discours de la psychanalyse», comme l’a écrit l’un des pontes français de la discipline, Jean-Pierre Changeux. Aucun dialogue ne paraissait plus possible avec de tels anathèmes et le divorce entre les deux disciplines semblait s’être conclu au profit de la psychanalyse.

 Tristesse et passion intéressent les chercheurs
Jusqu’à la fin des années 1980, celle-ci a occupé une place dominante dans le monde de la pensée, aussi bien auprès des psychiatres et des spécialistes de santé mentale – à qui elle fournissait la seule théorie globale du sujet – qu’auprès des intellectuels et des artistes. Mais, depuis quelque temps, la vapeur s’est inversée, comme on a pu s’en rendre compte avec le récent battage médiatique autour du Livre noir de la psychanalyse, brûlot ouvertement destiné à déboulonner la statue de Freud. Les tenants de la théorie analytique paraissent, en effet, avoir perdu beaucoup de leur superbe. Suspectée à mots couverts d’inefficacité dans un rapport de l’Inserm, elle se trouve concurrencée, dans les cabinets de consultation comme dans les universités, par les partisans de doctrines en apparence plus scientifiques, telles les thérapies cognitives et comportementales, la pharmacologie ou la chirurgie, qui revendiquent une approche plus rationnelle et pragmatique des troubles mentaux. 

La messe semblait donc être dite, et le dogme freudien bon à ranger dans le placard des antiquités, comme une sympathique construction mentale déconnectée de la réalité, dépassée. D’autant plus que les sciences cognitives ont, elles, progressé de manière spectaculaire ces dix dernières années. Grâce au développement des scanners, des ordinateurs et de la biologie moléculaire, il est devenu possible d’observer l’activité du cerveau en direct, in vivo, et de cartographier des aires associées aux opérations mentales les plus diverses. Certaines installations d’imagerie cérébrale, comme celle d’Orsay, permettent littéralement de voir ce que voit le sujet installé dans la machine, en suivant sur l’écran l’activité de ses aires visuelles.

A partir de l’étude de patients souffrant de lésions cérébrales et de l’enregistrement de l’activité neuronale de singes, les chercheurs ont identifié des réseaux synaptiques liés au langage, aux rêves, à la conscience, et s’intéressent désormais à des concepts subjectifs comme le sentiment de tristesse, l’empathie, la perception de la beauté, la passion amoureuse, voire le jugement moral, qui peut aussi s’expliquer par les neuromédiateurs et les synapses.

Pour la première fois depuis longtemps, la neurobiologie s’aventure au cœur des concepts freudiens et commence à les mettre à l’épreuve des faits. On pourrait s’attendre au pire, mais, surprise, la vieille doctrine du Dr Sigmund ne s’en sort pas si mal. On pourrait même dire qu’elle reprend un coup de jeune à la sortie de cette confrontation.

«Les technologies actuelles nous ont fait découvrir une vie mentale beaucoup plus riche et complexe qu’on ne l’imaginait, explique Lionel Naccache, neurologue et chercheur à l’Inserm. Freud a eu le génie de découvrir intuitivement cette complexité. Il a forgé des concepts parfois controversés, qui se révèlent finalement aujourd’hui très pertinents. Certes, il s’est trompé ailleurs, mais bon nombre de ses idées continuent de tenir la route.»

La théorie des rêves, par exemple, considérés par la psychanalyse comme des aperçus de désirs inconscients ou de traumatismes enfouis, avait été discréditée dans les années 1950 par les travaux des neurologues sur le sommeil paradoxal. On attribuait alors le phénomène des visions nocturnes à un cycle mécanique contrôlé par le tronc cérébral, une partie du cerveau sans émotion. «On se rend compte aujourd’hui que cette vision était largement fausse, reconnaît Jean-Pol Tassin, directeur de recherche à l’Inserm et professeur au Collège de France. On a découvert récemment que le rêve n’est pas automatiquement lié au sommeil paradoxal.»

Il est plutôt engendré par des structures du lobe frontal chargées de satisfaire les besoins fondamentaux comme la faim ou le sexe. Les visions nocturnes ramènent à la surface du cerveau des informations traitées inconsciemment, qui ne sont pas forcément sélectionnées intentionnellement, comme le soutenait Freud, mais prises au hasard sur la chaîne de montage mentale. Détail troublant: le neurologue et psychanalyste britannique Mark Solms a montré que les hallucinations des psychotiques se déclenchent dans la même zone qui produit les rêves.

La parole, essentielle à la survie des neurones
Un autre concept forgé par Freud se retrouve lui aussi réhabilité: celui de l’amnésie infantile. Le médecin viennois avait, le premier, constaté l’absence de souvenirs avant l’âge de 2 ans, qu’il expliquait par le principe du refoulement. «On sait aujourd’hui que cette amnésie existe bel et bien, sans pour autant avoir besoin d’invoquer le refoulement, note Francis Eustache, professeur de neuropsychologie à l’université de Caen. Elle pourrait être liée à un processus de maturation cérébrale: la partie frontale du cerveau où se trouve la mémoire épisodique, celle qui permet de conserver les souvenirs et de faire le lien avec le passé, constitue l’un des systèmes les plus complexes, très lent à se mettre en place: il ne semble pas fonctionner entre 0 et 2 ans et n’atteint sa pleine puissance qu’à l’adolescence.» De même que le cerveau des enfants surdoués semble se développer plus lentement que les autres, si l’on en croit une grande étude de neuro-imagerie qui vient d’être publiée par le National Institute of Mental Health, l’institut américain de santé mentale. Le cortex supérieur des sujets les plus performants aux tests d’intelligence arrive en effet plus tardivement à maturation: il semble plus fin au départ, mais il s’épaissit ensuite plus vite et cette croissance se prolonge jusqu’à l’âge de 13 ans, alors que ce processus s’arrête en moyenne vers 8 ans chez les individus «moyennement» intelligents.

 

Les psychanalystes, qui ont fait du langage la pierre de Rosette de la pensée, peuvent également se réjouir de voir que les neurologues arrivent à la même conclusion. Les travaux récents sur la plasticité neuronale montrent que l’usage de la parole apparaît essentiel au développement du cerveau et à la survie des neurones. Le petit d’homme naît avec des capacités mentales proches de celles du cochon d’Inde, pratiquement sans aucun comportement spontané, même pas celui de manger. L’esprit se construit essentiellement à travers l’entourage, parental puis social et culturel. «Si l’enfant ne se met pas à parler, les connexions correspondantes ne se mettent pas en place et il perd à jamais cette capacité», constate Lionel Naccache. Plus étonnant, les neurones se détruisent aussi quand on apprend, pour faire de la place aux nouvelles connexions.

Autre exemple d’intuition freudienne confirmée par les faits: celui de l’imagination, c’est-à-dire le processus qui s’engage quand on est allongé sur un divan en laissant libre cours à ses pensées. Les psys ont toujours soutenu que les images mentales étaient produites sur le même principe que la perception visuelle. Autrement dit, que le cerveau traite de la même façon les choses vues dans la réalité et celles qu’on se représente intérieurement. Une conception longtemps contestée par les neurologues, et pourtant récemment confirmée par l’imagerie cérébrale: les visions intérieures activent bel et bien les aires visuelles.

 Un chercheur italien, le Pr Giacomo Rizzolatti, a même découvert le mécanisme précis par lequel notre cerveau simule intérieurement le monde extérieur pour se le représenter. Alors qu’il mesurait l’activité électrique du cortex prémoteur de macaques, à l’université de Parme, il a constaté que des groupes de neurones s’activaient de la même façon lorsque le singe faisait un geste et lorsqu’il regardait quelqu’un en train de le faire. Situés dans l’aire qui contrôle les mouvements corporels, ces «neurones miroirs» n’existent que chez l’homme et les primates supérieurs. Ils permettent de reproduire mentalement des actions, mais aussi d’imiter les autres, de deviner leurs états mentaux, bref de communiquer. Ce mécanisme réflexif est probablement à l’origine du langage, apparu d’abord sous forme de gestes, qui a permis la transmission du savoir et de la culture. Les neurones de l’empathie, comme on pourrait les appeler, semblent justement défaillants chez les autistes. Des chercheurs américains ont mis en évidence une onde cérébrale, dénommée «rythme mu», qui se déclenche quand les neurones miroirs entrent en action. Mais le signal reste muet lorsque ces malades voient quelqu’un faire un mouvement, contrairement aux personnes «normales», et n’apparaît que s’ils effectuent eux-mêmes réellement le geste. 

Les freudiens ont toujours soutenu que l’esprit n’est pas un ordinateur, ni le monde une cassette enregistrée. Ils sont aujourd’hui rejoints par des neurobiologistes aux idées larges qui considèrent le cerveau non plus comme un organe figé, une boîte noire d’où entrent et sortent des stimuli, mais comme un système de réseaux superposés et de connexions en perpétuel remaniement, sous l’influence de l’environnement extérieur et des émotions internes. Il a fallu attendre 1997 pour apprendre que, contrairement à un dogme bien ancré, les neurones peuvent se régénérer chez l’adulte et que de nouvelles connexions ne cessent de se former dans la matière grise.

C’est ce qui a valu le prix Nobel de médecine, en 2000, à Erik Kandel, psychiatre américain formé à la psychanalyse qui s’est ensuite orienté vers la biologie: il a montré que les expériences vécues laissent une trace physique dans le cerveau, en modifiant la transmission synaptique entre les neurones. Ces traces mnésiques peuvent se fixer inconsciemment et se réassocier avec d’autres traces, parfois en interaction, parfois en contradiction. «Cette découverte constitue une énorme avancée en même temps qu’un pont entre la psychanalyse et les neurosciences, s’enthousiasme le psychiatre et analyste suisse François Ansermet, qui vient de publier A chacun son cerveau (Odile Jacob), avec le neurologue Pierre Magistretti, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Ce concept de plasticité permet enfin aux biologistes de sortir du carcan du déterminisme et de la causalité organique: le cerveau ne sécrète pas la pensée comme le foie sécrète la bile, il est modelé aussi bien par le code génétique, qui programme la fabrication des neurones, que par l’environnement et l’expérience vécue.» Le Prix Nobel Eric Kandel paraît du même avis. Il considère que «la psychanalyse reste la vision du fonctionnement mental la plus cohérente et la plus satisfaisante sur le plan intellectuel», et plaide pour que la théorie de Freud soit adoptée par les neurobiologistes comme un équivalent de ce que représente la théorie de l’évolution de Darwin pour les biologistes et les généticiens: un cadre général permettant de ranger les données scientifiques de façon cohérente.

Et l’inconscient, dans tout ça? A défaut d’expliquer le concept central de la théorie freudienne, les neurobiologistes commencent à démonter les mécanismes de la conscience, la fonction mentale la plus élaborée, celle par laquelle on arrive à penser que l’on pense. En fait, celle-ci s’apparente à un phénomène exceptionnel: la plupart des tâches mentales sont effectuées de manière inconsciente par des aires spécialisées qui travaillent de manière indépendante: 90% des informations traitées par le cerveau échappent à notre attention. C’est valable pour des fonctions comme le contrôle du rythme cardiaque ou de la digestion, mais aussi pour des opérations plus complexes. Même les mouvements que nous effectuons en toute lucidité sont en fait déclenchés de façon inconsciente. Un chercheur londonien de l’University College, Patrick Haggard, est parvenu à décomposer les processus cérébraux mis en jeu lorsque nous effectuons un geste: il a constaté que le déclenchement des muscles précède de quelques fractions de seconde le moment où l’on croit avoir pris la décision de bouger.

Tous les mots ne sont pas neutres
Encore plus fort: plusieurs expériences menées notamment par l’équipe du Pr Stanislas Dehaene au service hospitalier Frédéric-Joliot, à Orsay (Essonne), ont démontré que le cerveau peut non seulement percevoir inconsciemment des images et des symboles, mais aussi les déchiffrer et les mémoriser. L’une de ces «manips» consiste à faire défiler des listes de mots devant des volontaires en leur demandant d’en définir le sens, tout en intercalant d’autres mots, affichés de manière subliminale, c’est-à-dire trop brièvement pour pouvoir être perçus consciemment. «On se rend compte que les volontaires définissent plus rapidement le mot lorsqu’il a une relation avec l’image subliminale qui le précède, par exemple "rugissement" et "lion"», explique Claire Sergent, du laboratoire CEA-Inserm de neuro-imagerie cognitive d’Orsay, qui a publié en 2005 une étude démontant le processus cérébral de la conscience visuelle. Les zones du cerveau chargées de décoder le langage s’activent lorsque le mot subliminal est «flashé», preuve qu’il n’est pas seulement perçu inconsciemment, mais qu’il est aussi compris.»

 

Tous les mots ne sont pas neutres. Ceux qui sont chargés d’une connotation négative apparaissent plus facilement identifiés que les autres parce qu’ils déclenchent des réactions quasi «épidermiques» dans le cerveau. On a ainsi constaté que des termes comme «danger» ou «mort» entraînent l’activation de l’amygdale cérébrale, siège des émotions primordiales comme la peur.

En réalité, la conscience dépend non des choses que l’on perçoit, mais de celles qu’on parvient à se représenter. «Elle apparaît comme un espace de travail surchargé, constamment bombardé par des stimuli provenant d’une multitude de processeurs sensoriels non conscients, explique Claire Sergent. C’est seulement quand une stimulation parvient à envahir l’espace tout entier qu’elle devient consciente.» Il est alors possible non seulement de saisir le sens d’un mot, mais aussi de compter les lettres qui le composent, de le traduire en plusieurs langues, et de le mémoriser.

Reste que ce mécanisme ne concerne que la forme la plus simple de la conscience, celle dite «d’accès», liée aux émotions et aux sentiments, qui gouverne la pensée rationnelle et le comportement. Mais les scientifiques distinguent aussi un niveau plus élevé, celui de la «conscience phénoménale», relative aux expériences et au vécu, qui enregistre la mémoire du passé et anticipe le futur. Une conscience beaucoup plus mystérieuse, indicible, faite de «qualia», c’est-à-dire d’états mentaux personnels, qui pourrait bien évoquer la psyché de Freud. Celle-ci risque d’échapper, pour un temps encore, aux scanners, aux ordinateurs et aux microscopes des neurobiologistes.

 

«Neuros» et psys réconciliés?

Malgré plus d’un siècle de divergences et d’invectives, le dialogue entre psychanalyse et neurosciences semble timidement se renouer. Sous l’impulsion de quelques spécialistes des deux bords, un nouveau courant interdisciplinaire lancé aux Etats-Unis est en train de se constituer, comme en témoigne la création, en juillet 2000, de la Société internationale de neuropsychanalyse, qui réunit des analystes, des neurologues et des cognitivistes décidés à rétablir des ponts entre eux. «Le divorce entre psychanalyse et neurosciences tient plus à l’ignorance et à la défiance réciproque qu’à une quelconque incompatibilité scientifique, explique le Pr Daniel Widlocher, un analyste qui travaille avec des neurologues à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière pour soigner des patients cérébrolésés et qui vient de déposer les statuts de la première société de neuropsychologie française. «Beaucoup de neurobiologistes se méfient de la théorie freudienne sans avoir fait l’effort de s’y plonger, comme beaucoup d’analystes refusent de s’intéresser aux travaux des neurologues, qu’ils jugent réductionnistes. Mais les deux disciplines ont pourtant tout à gagner à se parler!» Une bonne partie de ce malentendu tient au fait que la psychanalyse n’est pas à proprement parler une science, mais une méthode introspective et une relation personnelle que l’on ne peut transmettre. Cognitivistes et freudiens cherchent la même chose, comprendre l’esprit humain, mais les chercheurs ne sont pas des thérapeutes. «La science voudrait mettre tout le monde d’accord, remarque l’analyste Gérard Miller, mais la psychanalyse, elle, n’a pas de vocation consensuelle.»G.C.  

Pionniers de la neuro-économie

Les neurosciences seraient-elles solubles… dans l’argent? Aux Etats-Unis, de plus en plus d’économistes s’inspirent des recherches sur le cerveau humain pour tenter de décrypter les comportements, souvent irrationnels, d’achat et d’investissement. Plusieurs études par IRM montrent ainsi qu’une prise de décision à court ou à long terme n’active pas les mêmes zones du cerveau, et qu’un calcul de coûts ou de bénéfices émoustille des réseaux neuronaux différents! A quoi ces zones correspondent-elles et comment les stimuler pour influencer la prise de décision? On est encore loin d’avoir les réponses. Mais, en attendant, la «neuro-économie», comme elle s’est baptisée outre-Atlantique, fait salle comble dans les colloques internationaux et a déjà permis à deux de ses pontes, Daniel Kahneman et Vernon Smith, de décrocher un prix Nobel. Même si elles sont encore balbutiantes, ces recherches intéressent évidemment au plus haut point les spécialistes du marketing, qui s’en inspirent pour tenter d’influer sur les comportements des consommateurs…R. de C. 

Le futur temple du cerveau

Le premier centre de recherche français consacré à l’exploration du cerveau humain ouvrira ses portes, en 2009, à Saint-Aubin (Essonne). Financé par l’État et les collectivités locales et équipé de batteries d’appareils d’imagerie dernier cri répartis sur 8 500 mètres carrés, NeuroSpin devrait permettre aux chercheurs – qui sont aujourd’hui contraints d’utiliser les scanners et les IRM des hôpitaux, réservés en priorité aux malades – de disposer d’un outil unique en Europe. Grâce à la puissance de leurs champs magnétiques, les nouvelles machineos permettront de photographier des détails de l’ordre de 1 dixième de millimètre à travers la boîte crânienne (au lieu de 1 millimètre aujourd’hui) et de suivre l’activité des neurones quasi en temps réel, alors que les images des engins actuels les plus performants sont capturées toutes les quatre secondes, sans moyen de savoir ce qui se passe entre deux clichés…R. de C.