Dans ces pages, on peut évoquer Reynders, le Standard, la grève des postes, à peu près ce qu’on veut, sans risquer de prendre une balle perdue. Mais il existe trois sujets qui, même si on les aborde respectueusement, avec modération, font lever des réactions viscérales et des anathèmes : les deux premiers sont le pape, et le conflit isréalo-palestinien. Ils touchent à la religion, une certaine forme de religion, et ce qui gît derrière, c’est la question du rapport au père. D’un rapport perverti, infantilisant, au père. Au “ mon père ”, “ mon fils ”, au mollah, rabbi, abbé, pape, papa.
Croire en Dieu, c’est un choix personnel, aussi intime et serein que d’aimer sa femme, Mozart ou le yaourt aux fraises. Un humain croit, parce qu’il y trouve du sens, que c’est lumineux pour lui, et il peut sans problème accepter qu’il n’en aille pas de même pour son voisin de palier. Des millions de croyants sincères, descendants d’Abraham, et j’en suis, nourrissent un rapport harmonieux, épanoui, avec un Dieu bon, loyal et libérant. Ils ne demandent qu’à vivre calmement, et n’imaginent de convertir personne.
Où est le mal ? Le mal vient de ce que, de longue date, certains pères des Eglises ont érigé la foi religieuse en paternalisme institutionnel. Le paternalisme, c’est une exacerbation malade de ce que doit être la paternité. Quel compte ces prélats sans fils ont-ils à régler avec leurs propres histoires, pour assujettir ainsi des milliers de pauvres bougres ? D’autant qu’ils ont ensuite fait de ces religions des lieux de pouvoir, des systèmes collectifs, des modes de fonctionnement politique. Comme si un gouvernement faisait reposer ses options sur l’adhésion au yaourt aux fraises !
Aux prises avec ces nœuds, les croyants les plus frappés versent dans la dépendance, l’idolâtrie, l’infantilisation, plutôt que vers la liberté et la responsabilité. Puis ceux-là hurlent le plus haut. Et lorsqu’un allumé entasse des barils de poudre, il ne faut pas s’étonner que ça pète.
Et le mal vient de ce que, dans notre époque résolument craintive, comme à l’approche d’un naufrage, les êtres crevassés se cramponnent aux jupes de leurs faux pères.
Pères, patries, acte patriote, patriarches : le monde s’embourbe dans un rapport fourvoyé à ses pères, et serait magnifiquement inspiré de se tourner vers une psychanalyse bien conduite. La psychanalyse ? C’est elle qui fait le troisième sujet de vocifération, quand on l’aborde. Injuriée par une poignée d’universitaires cabrés qui gagneraient à interroger leur propre rapport à leurs propres pères, elle se révélerait pourtant des plus utiles, pour éclaircir un peu le bitume qui nous plombe.
Xavier Deutsch est écrivain, il tient également une rubrique hebdomadaire dans Le Soir, où ce texte est paru le 21 septembre 2006