Grégory Lemarchal, vainqueur de la Star Academy il y a deux ans, est mort des suites de la mucoviscidose il y a quelques semaines. Et la vente de ses disques, qui avaient disparu des rayons spécialisés, a soudain explosé… Grégory Lemarchal est en train de devenir un nouveau héros. Mais que mettre sous ce mot ? Est-ce le héros mythologique des légendes grecques ou le héros tragique et déchiré de la modernité ? En fait, ni l’un ni l’autre. Car un nouveau modèle de héros est arrivé : le héros « résilient ».
Le héros grec participait de la beauté et de l’harmonie du monde. Il pouvait être blessé, mais son intégrité physique, tout comme son idéal, n’étaient jamais altérés. Les héros tragiques qui lui ont succédé étaient bien différents : ils doutaient, pouvaient boiter – comme John Wayne dans les derniers westerns de Ford -, voire être borgne ou manchot, comme ceux que, enfant, je voyais défiler, médaillés et fiers, le jour du 14 juillet. Mais le culte de la perfection corporelle qui règne dans les médias a imposé de faire disparaître ces héros-là aussi. Ou plutôt, il a placé leur handicap au début de leur parcours et non à sa fin. Le héros a connu la déréliction, voire la mort, mais il les a surmontées. Et c’est encore mieux s’il a « rebondi » à partir d’eux, comme Grégory Lemarchal faisant de sa voix assourdie par la maladie l’instrument de son succès et de sa gloire.
C’est ainsi qu’une récente campagne de publicité a pu désigner comme héros des malades cancéreux guéris, mais ne présentant – c’est essentiel ! – aucune séquelle apparente. Le héros contemporain se doit toujours d’être « beau » en fin de parcours, mais plus son handicap aura été grand au début, et plus son mérite le sera aussi.
Le succès posthume de Grégory Lemarchal n’est pas seulement le sien. C’est aussi celui de cette nouvelle idéologie : il a souffert de la mucoviscidose, il a « rebondi », puis il a été terrassé, tel un héros grec, au faîte de sa jeunesse, fixé dans la beauté pour l’éternité. Mais comme toute idéologie, celle-ci a sa face cachée. A lier ainsi la capacité de s’en sortir à la « beauté » – dont le beau visage de Grégory est la dernière métaphore médiatique – que dirons-nous de ceux que les épreuves ont laissé gravement endommagés, physiquement ou psychiquement ?