La presse et la télévision se sont largement fait l’écho de la sortie, en mai dernier, de Grand Theft Auto IV[1], un jeu vidéo innovant en matière de graphismes et d’aventures. Mais la plupart des parents n’auront probablement retenu de l’événement que l’invitation faite au joueur de voler des voitures et d’éliminer ses concurrents virtuels sans se soucier d’aucune règle.

Pourtant, d’un côté, cela ne devrait pas inquiéter. Ce jeu ne fait en cela que renouer avec deux célèbres attractions foraines, les auto-tamponneuses et le jeu de massacre. Dans la première, le but est de sauter dans le premier véhicule disponible, d’en poursuivre d’autres, de provoquer de pseudos accidents et de faire tout ce que les règlements interdisent dans la réalité. Et dans la seconde, il s’agit d’abattre le plus nombre possible de figurines de bois. Le problème est que Grand Theft Auto n’est pas que cela…

Tout d’abord, le joueur est obligé d’y incarner un gangster, et qui plus est le pire de tous, ce qui n’est pas banal. Dans la plupart des jeux en effet, le joueur a le choix. Dans les jeux de guerre, il choisit son camp. Dans Morrowind ou Oblivion, il peut incarner un meurtrier, mais aussi un marchand, un soldat ou un gladiateur. Et dans World of Warcraft, il peut choisir d’être un représentant des forces du mal, mais aussi un soignant.

Ensuite, GTA ignore la logique de la culpabilité et du châtiment : il ne fait aucune place ni à la justice, ni à la prison. Alors que dans un jeu comme Pirates, le joueur qui commet une faute ou une erreur peut être arrêté et perdre un temps précieux en prison, le héros blessé – ou même mort – de GTA va à l’hôpital et en ressort instantanément : cela lui coûte un peu d’argent… mais un braquage lui permet vite de se le procurer ! Quant à la police, elle y est présentée comme une bande armée semblable aux autres à laquelle il s’agit d’échapper, et pas du tout comme le bras armé de la justice censé protéger l’ordre et les citoyens.

C’est pourquoi ce n’est pas la violence de certains épisodes de GTA qui le rend préoccupant. D’autres jeux en contiennent tout autant. C’est le fait qu’il mette en scène, dans un décor de grande métropole contemporaine, une société dominée par des bandes armées dont la violence n’est jamais questionnée et qu’aucune autre loi ne guide que celle de la force. On est là, malheureusement, dans un schéma qui correspond à l’actualité d’une délinquance juvénile de plus en plus préoccupante[2], et que GTA légitime, voire, pour certains, peut rendre désirable.

[1] Edité par l’américain Take Two.

[2] Voir Courrier International N° 918, du 5 au 21 juin 2008 : « Jeunes, un monde de gangs »