Sylvain Gross, propos recueillis par William Bourton | Le Soir | 25-03-2006

Vous êtes l’un des (nombreux) signataires d’une lettre ouverte au ministre de la Santé publique, Rudy Demotte, très critique vis-à-vis de son projet de clarification du titre de psychothérapeute. Que demandezvous exactement ?

 

Nous tenons, d’une certaine façon, à ce que la psychanalyse reste en dehors de la loi. Nous souhaitons que les psychanalystes reconnus par les associations de psychanalyse faisant partie de la Fédération des associations belges de psychanalyse puissent, du fait de leur formation spécifique, pratiquer la psychothérapie. Nous ne voulons donc pas que nos membres, qui peuvent pratiquer ce que nous appelons la psychothérapie psychanalytique, puissent être poursuivis pour « exercice illégal de la psychothérapie ».

 

Pourquoi n’êtes-vous pas demandeur d’une loi ?

Parce que cela fonctionne très bien jusqu’à présent. Cela fait à peu près un siècle que les psychanalystes ont une formation qui leur est propre. Elle repose sur plusieurs piliers. Le premier, c’est une longue analyse personnelle – qui peut durer de cinq à dix ans – que certains appellent la « psychanalyse didactique », et qui est une façon d’être au fait de son propre inconscient, de ne pas « contaminer » celui de l’autre. Deuxièmement, il y a ce que l’on appelle la pratique des contrôles. Cela veut dire que quelqu’un qui commence, ou se forme à l’analyse, va voir un analyste confirmé qui peut parler de sa pratique et fait le contrôle des cures dont il a la charge. Et troisièmement, évidemment, il y a la formation, qui est dispensée parles associations et écoles de psychanalyse : qu’il s’agisse d’enseignements, de séminaires auxquels on participe ou de travaux que l’on présente. Il s’agit donc d’une formation qui se fait en dehors des universités et des grandes écoles, qui fonctionne très bien depuis un siècle, et correspond à des critères internationaux reconnus par toutes les écoles et associations de psychanalyses. En principe, une loi doit mettre de l’ordre là où il y a du désordre. Pour nous, ici, une loi mettrait d’une certaine façon du désordre là où il y a de l’ordre…

Certains affirment pourtant que tout n’est pas si rose dans votre milieu!

Comme dans toutes les professions, il peut exister des problèmes éthiques, mais nous avons, au sein de nos associations, des gens qui peuvent traiter ces problèmes-là, concernant les plaintes qui peuvent être déposées.

Par ailleurs les divergences entre vous sont parfois grandes…

C’est vrai. Mais si les différentes associations se sont fédérées – alors qu’elles ont d’ordinaire plutôt tendance à s’ignorer – c’est parce que, sur l’essentiel, en tout cas sur la formation, nous sommes d’accord. Par contre, il peut y avoir des opinions divergences, c’est ce qui fait le vif de nos discussions, comme c’est le cas dans la communauté scientifique, dans la communauté des philosophes ou dans la communauté des historiens. Mais je pense qu’il est essentiel que ce ne soit pas l’État qui le fasse et qui écrive une thérapie officielle, une science officielle, une philosophie officielle ou une histoire officielle. Cela doit être laissé à la communauté des praticiens, puisque c’est là que le débat peut avoir lieu.

C’est tout de même une attitude très corporatiste !

Nous avons le sentiment de défendre quelque chose qui touche à l’intime, à la subjectivité, ce qui est une dimension qui dépasse tout corporatisme et qui doit intéresser le patrimoine de l’humanité, ou tout ce qui est l’essence de l’humain. Il est toujours très compliqué et très dangereux de légiférer sur le psychisme des gens. Jusqu’à présent, on a toujours légiféré sur l’intégrité physique; le psychisme, c’est quelque chose qui touche à l’intimité et, d’une certaine façon, à la vie privée. Dans ce cadre-là, nous considérons que cette loi irait dans le sens d’une restriction des libertés et des responsabilités individuelles. La réglementation des rencontres humaines par le législateur peut porter atteinte au territoire protégé de l’intime dans lequel se tient la psychanalyse.

Vous voyez donc malice derrière cette volonté de légiférer ?

Évaluer, garantir et contrôler ce qui se passe entre les hommes au titre des relations fait partie des nouveaux modes de gestion politique, qui peuvent être à l’horizon d’une société de contrôle. Comme je l’ai dit, la psychanalyse est une science du sujet, de la subjectivité et elle ne peut se prêter à une quelconque gestion administrative.

Sylvain Gross est psychiatre et psychanalyste