La réglementation des pratiques thérapeutiques concerne au plus intime le citoyen, ou, comme aime à le nommer les rapports ministériels : l’usager… C’est une place que j’ai tenue pendant dix ans, en faisant une psychanalyse.

Autour de ce projet de loi, les voix d’experts se propagent, haut et fort. Parmi elles, beaucoup veulent faire croire que la souffrance humaine serait un trouble du fonctionnement, qu’il serait bon d’y répondre, non plus avec cette vieille barbe psychanalytique, cette cure par la parole !, mais avec nettement plus moderne : de nouveaux médicaments, par exemple : plus efficaces ; des thérapies dites cognitivo-comportementales : plus rapides, tout un arsenal plus adapté… à quoi en vérité ? A un monde où la souffrance humaine est si déplacée qu’il importerait de la cacher, de la taire, de l’éradiquer, et ce, pour mieux fonctionner… sauf si nous sommes de très mauvaise composition ! comme qui ? comme les enfants turbulents ? les chômeurs ? les handicapés ? les artistes ? les angoissés ? les immigrés ? les familles débordées ? les jeunes ? les malades mentaux ? les fatigués de vivre ? La liste n’est pas exhaustive. Nous sommes encore beaucoup à être troublés

Nos vies sont parfois chargées de trop de peine, de symptômes intenables, d’évènements dévastateurs. Parfois, en effet, il n’y a pas d’autre voie que de demander de l’aide à « un professionnel. « Quelle chance ! » disait Françoise Dolto. En effet ! mais à la condition de savoir à partir de quoi nous serons écoutés et comment sera traduite cette langue étrange qui parle obstinément à travers la douleur à vivre.

Je n’aurais pas voulu de prescriptions rééducatives ou médicamenteuses, présentées comme des voies royales, pour corriger tout ce qui me rendait la vie compliquée.

Je n’aurais pas aimé, vraiment, que l’on me propose un petit programme rapide pour « resrtucturer activement ma façon de penser » en quelques séances … restructurer, et activement, quoi exactement ? les ombres qui m’entouraient enfant, les présences perdues, les âmes mortes sans explication valable… ?

Je n’aurais pas voulu que l’on m’assure que ces désastres obscurs étaient quantifiables, régulables, réparables mêmes… j’aurais pu croire qu’ils ne détenaient qu’un seul sens, autant dire aucun.

La psychanalyse se tient ailleurs, dans une spécificité qui n’appartient qu’à elle. Elle soutient que nous sommes des êtres de langage, non de simples supports à une biologie souveraine. Elle défend une certaine idée de l’être humain et de sa vie psychique en préservant une parole et une écoute singulières, non formatées, non médicalisables…; elle ouvre à une langue neuve, qui nous porte à agir, au sens de l’arkhein grec : commencer, commander… donc être libres, disait Hannah Arendt.

La psychanalyse à les mots pour seuls viatiques dans la quête d’une vie vraie : une vie que l’on porte au lieu de la supporter…

Elle veille, par tout un art, à ce que des paroles puissent advenir, de celles capables de border ces trous noirs que nous portons, tous, au cœur même de nos existences.

Ceux qui « veulent notre bien » assurent aux législateurs et aux usagers des programmes de soins réellement efficaces.

Ils veulent nous vendre l’idée d’une vie où nous pourrions désormais nous reposer de nos souffrances, de nos trous noirs…Vraiment ?

Il me plaît que le dernier mot appartienne à quelqu’un né en 460, au Vème siècle avant notre ère… un historien grec nommé Thucydide. Un vieil irréductible.

Il faut choisir : se reposer ou être libre.

Bruxelles, le 8 novembre 2006

Myriam Saduis, metteur en scène

Intervenante à l’asbl Les Tropiques et au Club Antonin Artaud..