« La psychanalyse est-elle dangereuse pour les enfants ? » se demandent certains. Personne ne souhaite qu’un enfant fasse une mauvaise rencontre, la question est donc bien légitime. D’où l’importance de mieux comprendre ce qu’un analyste fait avec un enfant, parfois très jeune. Le couche-t-il sur un divan ? Mais non bien sûr !

Contrairement à l’adulte, l’enfant ne vient pas seul. En général, il vient à la demande de l’école, d’un médecin ou parce que les parents s’inquiètent d’un symptôme dérangeant ou d’un état d’esprit qui empêche l’enfant de continuer à grandir sereinement, à prendre au bond toutes les balles que la vie lui envoie.

 

Le psychanalyste ne se focalisera pas sur le symptôme mais se mettra plutôt à l’écoute de ce qui se dit là, par les parents et par l’enfant. Rare sont les enfants qui ne disent rien. Mais ils parlent avec d’autres outils langagiers que celui du langage oral. C’est pourquoi l’analyste formé à l’écoute des enfants a appris à écouter avec son regard, Il accompagne le parcours intime de l’enfant avec sa troisième oreille, celle qui entend ce qui se cache derrière les mots, avec son troisième œil qui a appris à lire entre les lignes des agissements le message qui s’y niche. L’enfant parle de sa souffrance ou de son bien-être en bougeant, en brandissant une épée, en dessinant, en se racontant une histoire avec les marionnettes qu’il découvre dans un coin de la pièce, en martelant de la pâte à modeler, en se collant ou provoquant l’adulte, etc.…

 

Une psychanalyse avec un enfant est identique à celle d’un adulte car il s’agit d’un rendez-vous avec soi-même, d’une ouverture à l’écoute de sa propre intériorité. L’analyste est là non pas pour poser à l’enfant des questions du genre : « Raconte-moi ce que tu as fais aujourd’hui ? » « Pourquoi crois-tu que tu es triste ? Que tu rates à l’école ? Que tu tapes sans cesse ta sœur ? etc. » ou bien encore « Raconte-moi tes soucis. » « Pourquoi crois-tu que ta maman ne t’aime pas ? » . Il ne s’agit pas de pousser l’enfant à discourir pour résoudre à tout prix le symptôme. Celui-ci n’est d’ailleurs, souvent, que la partie émergeante d’une souffrance ou d’un questionnement qui se joue sur un autre plan.

 

L’analyste n’est pas non plus quelqu’un qui « joue » avec un enfant. Ce que l’analyste offre à l’enfant est un espace temps qui n’est ni une conversation anodine, ni un lieu de décryptage du quotidien mais un lieu d’écoute. Comme pour l’adulte, le psychanalyste offre à l’enfant une possible rencontre avec ce qui l’habite. « C’est ce que je porte d’inconnu à moi-même qui me fais moi. » nous dit Paul Valéry. Avec une acuité perceptive particulière, la spécificité de la fonction de l’analyste sera de lire entre les lignes, dans l’indicible des gestes, dans la symbolique des jeux ou des dessins ce qui se donne à voir ou à entendre de la réalité psychique inconsciente de cet enfant.

 

Ce qu’il en fait de cette lecture ? En général il se tait ! Mais l’enfant sent, sait qu’il n’est plus seul, que quelqu’un est là, qui a compris, qui l’accompagne dans le dépassement de ses pierres d’achoppement. Et un jour il dira « Je crois que je n’ai plus de nuages dans mon cœur », quittera son analyste pour continuer son chemin avec heurts et malheurs et bonheurs comme tout un chacun.

 

Bien souvent, il oubliera complètement qu’un jour il est allé chez un « docteur pour des soucis dans son cœur »…

 

Mais face à la multiplication des souffrances que rencontre l’enfant et l’adolescent, l’analyste se doit d’être créatif, d’oser ce qui ne se faisait pas, il doit avant tout se battre pour que la parole du sujet ne soit pas muselée par le consumérisme, le sécuritaire, la déliaison et tant d’autres choses qui sont le prix à payer pour la foudroyante révolution technique et technologique de ces dernières décennies.

 

Alors par exemple, quand de façon impromptue et inattendue une jeune ado, menacée d’internement par sa logopède, s’adresse à un analyste via une adresse électronique, n’est-il pas un devoir d’y répondre ? En essayant de garder une place d’analyste. Position parfois acrobatique à notre époque, il faut l’avouer.

 

Sans doute un des aspects clés de celui qui se réclame d’une formation de psychanalyste est de refuser la place d’expert, de celui qui a les réponses. Le psychanalyste est là pour faire surgir des questions, pour permettre des remises en question. Voilà d’ailleurs une bonne raison pour laquelle certaines formes politiques musèlent ces empêcheurs de tourner en rond !

 

Le psychanalyste ne défend pas un savoir propre mais s’efforce de faire respecter la clé essentielle de l’humanité : son accès au langage. Et par le biais de celui-ci faire accéder le sujet à sa part unique d’humanité.

 

Bruxelles, le 19 septembre 2005.