La psychanalyse n’est pas une science ! Cette affirmation revient souvent car elle est l’argument dont se servent ceux qui veulent la dévaloriser, insinuant ainsi qu’elle ne serait fiable ni pour mieux comprendre le monde qui nous entoure, ni pour accroître notre culture ni -et surtout- comme thérapeutique.

Or la psychanalyse est bien une science, et ceux qui lui refusent ce titre ignorent tout simplement qu’il n’existe pas qu’un seul et unique modèle de sciences, celui dit « des sciences dures ».

Ces sciences là sont rassurantes parce qu’elles n’ont pas droit à l’erreur : si le problème a été correctement posé, sa solution sera parfaite. Et en effet comment pourrait-on admettre que la fusée ne se pose pas sur la Lune à l’heure et au lieu dits, qu’une bille de plomb, jetée du haut de la Tour de Pise arrive avant la bille de liège, ou que telle autre invention humaine refuse de se conformer aux lois, très strictes, des sciences exactes ?

Avec les sciences dures, pas d’hésitation, pas de flou, pas de danger : on sait exactement où on en est.

La science comporte cependant de nombreuses branches : à côté des sciences exactes, on a les sciences humaines, les sciences de la terre, les sciences qui concernent les animaux, (actuels ou préhistoriques), les plantes, etc. Mais, tout en présentant de grandes différences entre elles, toutes les sciences ont pourtant les mêmes principes de base, qui les différencient de façon drastique de ces autres grandes manifestations de la créativité humaine que sont les arts.

Tout en étant souvent complémentaires, art et science sont en effet foncièrement différents : une première différence fondamentale se trouve dans leur rapport au rationnel ; en effet si, tout comme l’art, les avancées scientifiques doivent beaucoup à l’inconscient et au travail de liaison qu’il suscite, ses créations sont cependant toujours contrôlées par le conscient, elles font référence aux connaissances antérieures, et elles sont soumises au verdict de la raison.

Alors que les créations de l’art, qui a lui aussi l’inconscient pour point de départ, sont en concordance avec l’affectivité et les émotions, et non avec le raisonnement.

La science s’adresse à notre raison, tandis que l’art mobilise nos affects.

Une autre différence essentielle entre art et science est que toutes les sciences sont susceptibles de faire des progrès, alors que l’art n’en fait pas et, d’ailleurs ne se soucie pas d’en faire : qui prétendra que les dessins de la grotte de Lascaux sont inférieurs aux tableaux de Breughel, qui seraient eux-mêmes inférieurs à ceux de Monet ou de Picasso ?

Une troisième différence capitale se trouve dans la recherche de la preuve ; en effet, tout scientifique cherche la preuve qui validera ses résultats ; alors qu’on se demande quelle « preuve » pourrait bien concerner l’art et, d’ailleurs, où il pourrait la trouver. Et en effet, les scientifiques veulent trouver une preuve objective, ou aussi proche que possible de l’objectivité, alors que la valeur qu’on attribue à l’art est subjective.

Après avoir énuméré quelques unes des différences de base qui opposent les arts et les sciences, j’étudierai maintenant ce qui relie et/ou différencie les sciences entre elles.

Celles-ci se divisent essentiellement en deux branches : les sciences dites exactes et celles qui ne le sont pas tout à fait, c’est-à-dire toutes celles qui étudient le vivant.

La principale différence entre ces deux groupes c’est que les expériences des premières sont reproductibles : quel que soit l’expérimentateur – homme, femme ou même robot- et quel que soit le lieu ou le moment, si on refait l’expérience dans les mêmes conditions et en suivant le même protocole, le résultat sera le même.

A l’inverse, il ne peut y avoir de répétition à l’identique pour le vivant, d’une part parce que chaque individu : plante, animal ou être humain, n’est tiré qu’à un seul exemplaire. Et d’autre part parce que chaque chercheur modifie, peu ou prou, le sens de sa recherche puisqu’il est soumis à sa propre affectivité et qu’il est influencé par sa société, par son époque, par tout son environnement.

De toutes les sciences du vivant, la psychanalyse est sûrement celle qui s’écarte le plus de l’objectivité, parce qu’elle introduit une variable supplémentaire : le temps.

En effet, même lorsque le psychanalyste redit une même interprétation pour la cinquième fois, celle-ci n’est ni reçue ni comprise exactement comme les précédentes, parce que le patient a évolué entre temps.

Et que le psychanalyste, lui aussi, a changé : il a fait des progrès dans la compréhension de son patient, il a d’avantage sollicité son inconscient, il a vécu et acquis plus d’expérience, et il a donc obligatoirement donné chaque fois une interprétation légèrement différente et plus féconde.

Comme toutes les autres sciences du vivant, la psychanalyse a cependant avec les sciences exactes des convergences bien plus fondamentales que ne le sont leurs divergences : comme les sciences dures, la psychanalyse fait constamment des progrès, puisque nous en savons beaucoup plus qu’autrefois sur notre inconscient, sur nos motivations, sur les causes qui entraînent les transformations de la société et sur le monde dans lequel nous vivons.

Enfin et peut-être surtout, et comme le font toutes les sciences, la psychanalyse cherche constamment la preuve… sans jamais la trouver parfaitement. Mais cela importe peu, car ce qui compte, ce qui est essentiel, c’est de la chercher.

Autrement dit, et en écartant toute croyance, de se soumettre constamment au verdict de la raison, car c’est là l’état d’esprit qui, plus que tout autre, caractérise un scientifique.

Paris, le 22 janvier 2007

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