Jacqueline Légaut, « La psychanalyse, l’air de rien », Editions Eres, 2007, 112 p. 8 euros.

Un petit opuscule éclairant sur la psychanalyse…sans avoir l’air d’y toucher !

S’il suffisait de s’allonger le soir venu sur son divan, un verre de scotch à la main, et se parler pour mieux se comprendre, il a y belle lurette que la psychanalyse n’existerait plus. Certains s’y sont essayés. Seulement voilà, après un laps de temps, satisfaisant pour les plus doués, « ça bute ». La psychanalyse consacre, pour le meilleur comme pour le pire, la place de l’autre. D’un Autre. D’où les séances avec un professionnel. D’où, également, les échanges de ce dernier avec des collègues. D’où enfin, un imprescriptible besoin d’écrire. C’est-à-dire de s’adresser là encore à un autre: un « je » qui écrit puis qui se lit, un lecteur potentiel ou un interlocuteur imaginaire avec lequel s’instaure un dialogue. La psychiatre et psychanalyste Jacqueline Légaut a choisi cette dernière option. Peu importe de savoir si Camille est un personnage fictif, un membre de sa famille ou une de ses patientes : un analyste réclame rarement à ses visiteurs la déclinaison immédiate de leur identité. Si le nom n’ajoute ou ne retranche « rien à l’affaire », les séances ultérieures se « chargeront » bien du sens à lui donner.

Un livre de questions et de réponses ? Plutôt une élaboration progressive à deux sur « les Lois de la parole », si mystérieuses dans le lien d’interlocution qu’elles installent entre deux êtres humains. « Indissociable de la possibilité de parler », la psychanalyse met aussi à rude épreuve ces mots qui « entament » et créent du vide plus qu’ils ne comblent du fait qu’on ne « parvient pas à tout dire ». Le « mi-dire » lacanien pointe le bout de son museau.

Des « Lois de la parole », l’auteur bifurque par « association libre » sur celles de la nécessité : le « que faire de son analyse ? » cède rapidement la place au « que faire de l’analyse ? » tant semble engagé à ses yeux un processus menaçant de « normalisation » des comportements. Incompatible avec l’idéal de liberté analytique, « la bonne façon de » ne concerne pas seulement l’humain, finalement dressé à ne plus « mécontenter autrui ». Elle touche également les multiples institutions d’écoute et de soins psychiques engluées dans d’insurmontables « exigences administratives » rivées sur l’obsession de résultats chiffrés.

Jacqueline Légaut en profite pour rappeler un point essentiel, parfois abandonné entre deux coussins moelleux d’un cabinet feutré : « un analyste ne vit pas en dehors du monde ». Les symptômes de nos patients, explique-t-elle en substance, reflètent les maux de notre société. Après un développement remarquablement limpide sur un concept topologique de Lacan (la bande de Moebius), elle illustre cette affirmation d’une anecdote. En écoutant les responsables de SOS Amitié, elle apprend ainsi que certains auditeurs se disent rassurés « de ne pas être écoutés par un psy ».  On pourra, dans son sillage, s’interroger « sérieusement sur la crédibilité du métier » d’analyste. Un lacanien de ses collègues pourrait tout aussi bien questionner la dimension inconsciente du langage tenu par cet auditeur anonyme.