Jean Cottraux s’entretient avec Eric Favereau pour Libération (17-09-2005)

 

Psychiatre des hôpitaux, chargé de cours à l’université Lyon I, Jean Cottraux est un des plus ardents défenseurs des thérapies comportementales et cognitives (TCC) et un des auteurs du rapport de l’Inserm, «Trois thérapies évaluées» (2004). Il justifie la violence du «Livre noir» auquel il a collaboré.
 

Pourquoi avez-vous participé au Livre noir de la psychanalyse ?
Catherine Meyer m’a demandé de rédiger quatre chapitres, de trouver d’autres auteurs et de relire des textes. Je l’ai fait car le projet me paraissait intéressant. Il s’agissait de réaliser un ouvrage extrêmement documenté et, dans mon esprit, de lancer un débat sur la validité de la psychanalyse, qui est une des plus grandes idéologies du XXe siècle.
 
Mais le meilleur moyen de lancer un débat était-il de traiter Freud de tous les noms?
On a forcé un peu la note et un débat a besoin d’être polémique. Il est vrai qu’il y a eu des discussions sur le titre, mais aujourd’hui parler de «livre noir» ne veut pas dire extermination de masse. Il n’empêche, nous voulions sortir de l’hypocrisie et interroger la validité des théories psychanalytiques et leur efficacité thérapeutique. Car le point de départ est bien réel : la psychanalyse n’est en rien démontrée. Freud puis ses successeurs se glorifient pour bâtir leur théorie d’histoires de cas, dont les historiens ont montré qu’elles se sont terminées en fiasco. Bref, on a présenté de façon péremptoire le freudisme comme un horizon indépassable. Il n’était pas inutile de faire une somme de 830 pages pour en sortir.

 

Pour vous, la psychanalyse ne sert à rien ?
Ce qui pose problème, c’est l’ambiguïté de la situation. Si, comme le disent certains, la psychanalyse n’est pas là pour guérir, alors c’est une philosophie ou une religion. Pourquoi pas ? Mais en même temps, ceux-là, ou d’autres, tiennent un double discours, et disent qu’elle guérit. C’est une position perverse. Il faut choisir. Quand vous reprenez Analyse terminée et analyse interminable de Sigmund Freud, il dit que le premier critère du succès d’une cure, c’est la disparition des symptômes. Alors qui croire ? Qu’on en finisse avec ce double jeu. Quand on voit certains psychanalystes nous donner des leçons, se targuer d’être les meilleurs, quand on en voit d’autres faire pression sur le ministère de la Santé pour censurer un rapport scientifique de l’Inserm qui leur est défavorable, il y a bien problème de société. Et cette violence intellectuelle est insupportable. Il y a eu trois années difficiles depuis le dépôt de l’amendement Accoyer. Des psychanalystes omniprésents et arrogants ont infiltré le pouvoir politique pour imposer leurs vues partisanes à la santé publique. On peut juger du dépérissement de l’Etat que cela révèle.

 

Mais pourquoi aller jusqu’aux injures ?
Freud n’est pas qu’un scientifique, c’est aussi un leader politique. Sans insultes ni diffamation, nous avons exploré le côté obscur de ce leader politique. Un exercice démocratique : le public a le droit de savoir.

 

Tout est à jeter ?
Non. Ce que je garde, c’est l’impulsion qu’il a donnée à tout un domaine. Même si le concept d’inconscient, ce n’est pas Freud qui l’a découvert, il reste un concept important. De même, le fait que la thérapie soit liée à une relation et qu’il faille travailler sur la parole. Enfin, dans le rapport de l’Inserm, il est dit que pour certains troubles de la personnalité, la thérapie psychanalytique brève a des résultats positifs (et les TCC aussi). Rappelons que 30 % des patients vus en psychiatrie présentent des troubles de la personnalité.

 

Comment vont les TCC ?
Elles vont bien. Contrairement à ce qu’affirme Elisabeth Roudinesco, il y a un bon millier de praticiens (1 349 exactement au 16 septembre) en France, les diplômes sont pleins, je refuse du monde. Les patients viennent nous voir. Et nous, nous n’avons pas peur de l’évaluation scientifique de nos pratiques.