Ricardo Gutiérrez | Le Soir | 05-04-2006
Le danger de médicalisation des enfants hyperactifs
Prescrire de la Rilatine aux enfants hyperactifs ? Cela ne va pas sans danger, dit un groupe de psychiatres
Faut-il prescrire des amphétamines aux enfants diagnostiqués « hyperactifs » ? La question reste controversée. Si les autorités publiques refusent de diaboliser la prescription de psycholeptiques aux enfants souffrant d’un « trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité » (TDAH), de plus en plus d’experts s’en inquiètent Notamment les psychiatres du groupe Popp, tenants de la psychanalyse plutôt que des thérapies comportementales (1).
Le Soir évoquait, voici peu, les dangers potentiels de la Rilatine et du Concerta, dans le domaine cardio-vasculaire (nos éditions du 22 mars) et la croissance spectaculaire de la consommation de cette molécule en Belgique (nos éditions du 29 mars). Au nom du groupe Popp, le Dr Monique Debauche, psychiatre à la Free Clinic, affiche sa « perplexité prudente », voire « une peur justifiée pour nos enfants. Dans nos pratiques, nous observons tous les jours les dérives de la surprescription des psychotropes, largement confirmées par des statistiques. »
Monique Debauche et ses confrères, notamment les psychiatres Philippe Hennaux, président de la Ligue bruxelloise pour la Santé mentale, et Bernard Fourez, des Cliniques de Mont-Godinne, disent leurs craintes face à « la possibilité de donner un dérivé d’amphétamines à 5 à 10 % des 5 à 12 ans, susceptibles d’être diagnostiqués TDAH, c’està-dire de la possibilité d’étendre ce marché pharmaceutique à 74.000 enfants », en Belgique. Manifestement, la disparité des estimations « démontre que la frontière est floue entre un comportement qualifié de pathologique chez certains enfants et le comportement normal. »
Une maladie ?
Le groupe Popp partage la perplexité du Dr David Healy, auteur d’un ouvrage sur les drogues psychiatriques : « D’un côté, on utilise des médicaments dérivés d’amphétamines à grande échelle en les considérant sans danger pour nos enfants et de l’autre, quand ils sont en vente illicite, ils sont considérés comme une menace majeure pour la société. Ce qui serait consternant, c’est que personne ne s’en émeuve. »
En élargissant Ie remboursement, de la Rilatine, fin 2005, « les autorités ont à nouveau reconnu le TDAH comme une maladie », plaide Novartis Pharma, principal producteur de la molécule. Les. psychiatres du groupe,. Popp le contestent ; « Une psychopathologie commune sousjacente n’est pas attestée, l’utilisation du mot `maladie’ n’a pas plus de sens qu’il n’en aurait pour qualifier la délinquance, la timidité ou les mauvais résultats scolaires. » De fait, la Rilatine et le Concerta ne guérissent pas une pathologie : ils permettent tout au plus de canaliser l’attention et de supprimer des symptômes comme l’impulsivité et l’hyperactivité. « Tout en créant une dépendance qui rend difficile la limitation du traitement dans le temps », insiste le groupe Popp.
Le Dr Debauche et ses confrères dénoncent aussi « la pression énorme du marketing pharmaceutique » sur les médecins, les parents et les enseignants. L’enjeu financier est de taille : « Au prix de 50 à 62 euros la boîte, par mois et, par enfant, cela fait pour une année entre 7.200.000 et 53.280.000 d’euros euros si on atteint les 74.000 enfants prédits. Le diagnostic de TDAH risque d’être soutenu par des raisons principalement économiques et non pas orientées vers le bénéfice réel de l’enfant/patient. » Les psychiatres du groupe Popp en appellent avant tout à la prudence « Ne réduisons pas la compréhension du TDAH à un modèle biomédical simpliste avec, comme corollaire, le traitement médicamenteux comme allant de soi»
(1) Psychiatres orientés par la psychodynamique et la psychanalyse.
Voir aussi le site www.giulemanidaibambini.org/consensus/consensus_fr.html