Je suis devant mon ordinateur. Les impératifs qui règlent la vie quotidienne se mettent en sommeil, un peu comme au moment de l’endormissement. L’installation devant l’écran s’accompagne d’ailleurs d’un rituel qui rappelle celui du coucher : se retirer à l’écart, avec son lit dans un cas, son ordinateur dans l’autre, baisser la lumière… Puis la porte des espaces virtuels s’entrouvre, un peu comme celle des rêves dans Les Aventures de Little Nemo in Slumberland, la célèbre bande dessinée de Windsor Mac Cay.
Je me retrouve à traverser des déserts ou des marécages pleins de créatures hostiles, à m’enfoncer dans d’épaisses forêts à la recherche de fées ou de géants, à combattre des monstres horribles, à diriger d’immenses armées ou quelques compagnons d’arme, voire à mettre en scène mes fantasmes sexuels les plus intimes. Mais toujours et comme dans un rêve, les désirs secrets dont la satisfaction est impossible la journée deviennent réalisables. Je suis le seul témoin de ce que je mets en scène, et si je le partage avec quelques complices sur le net, l’anonymat est total. Et comme dans un rêve encore, la différence entre vrai et faux, passé et présent, réel et imaginaire tend à s’effacer.
Pourtant, les mécanismes décrits par Feud, et qui contribuent à la construction du rêve, sont bouleversés par le fait que les espaces virtuels ne sont pas le résultat d’une élaboration personnelle, mais d’une construction collective gérée par un serveur. L’imaginaire personnel doit à chaque fois composer avec les contraintes techniques et les traces des fantasmes et des rêveries d’autrui. Du coup, ce ne sont pas les images créées par chacun qui sont le reflet de ses désirs et de ses inhibitions, mais les parcours qu’il impose aux créatures chargées de le représenter.
C’est pourquoi la prise en charge des accrocs du virtuel doit leur faire raconter leur parcours, de la même façon que Freud faisait raconter leurs rêves à ses patients névrotiques. L’avatar est la voie royale vers l’inconscient de l’usager du virtuel.