Paru dans Libération, le 5 octobre 2005
Le débat sur la psychanalyse laisse peu entendre les premiers concernés.
J’ose tenter de prendre la balle au bond, j’ose tenter de faire entendre ma petite voix et celles de ceux qui m’ont fait l’honneur de les représenter.

Je fais le constat que dans plusieurs Rebonds (1) s’expriment les défenseurs des lapsus, du complexe né du mythe grec d’oedipe et du maintien des symptômes. Leur «siège» de la parole (eux si muets d’ordinaire de par leur profession de foi) a lieu suite à la parution, le 1er septembre, du Livre noir de la psychanalyse. Cela semble normal et sain dans un débat démocratique sauf que seuls les mécontents s’expriment. Or, pour un ouvrage, de prime abord austère, qui comporte 830 pages, coécrit par des psychiatres, psychologues, historiens, philosophes, épistémologues, patients et familles, l’enthousiasme est grand : 23 000 exemplaires vendus en trois semaines. Cela s’appelle, je crois, un succès littéraire. Il semblerait qu’un tel livre était attendu, voire espéré. Petit rappel : selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, une personne sur cinq souffrira dans sa vie d’un problème psychiatrique. Il n’est donc pas question de guerre, de rationalisation, de coût, de chasse aux sorcières des tenants du freudisme et du lacanisme mais de souffrance qu’il faut appréhender et soigner. Parmi les 23 000 premiers lecteurs du Livre noir (il y en aura beaucoup d’autres, que certains le veuillent ou non), il se trouve beaucoup de déçus par une psychanalyse qui les a égarés pendant des années.

Aussi, il serait pertinent, pour ne pas dire essentiel, de donner la parole à ceux qui soignent et pourquoi pas ­ Oh révolution ! Oh audace journalistique ! ­ à ceux qui souffrent et savent fort bien évaluer au quotidien les blessures de la douleur psychologique et les handicaps sociaux qu’elles entraînent. Et ceux-là qui sont atteints de phobie sociale, d’agoraphobie, de trouble obsessionnel et compulsif, de trouble bipolaire ou de schizophrénie savent également reconnaître la capacité de leur thérapeute à leur venir en aide ou non. Les personnes qui souffrent comme celles qui les soignent préfèrent le dialogue, base fondamentale de l’alliance thérapeutique, aux divagations pseudo-intellectuelles de ces autodialogues médiatiques.

 

(1) «En finir avec la psychanalyse ?», Daniel Sibony, Libération du 13 septembre et «Le marché du mental», Jacques-Alain Miller, Libération du 28 septembre.

 

Annie Gruyer est présidente de l’Association de personnes souffrant de troubles anxieux et phobiques