Les premières identifications auxquelles l’enfant est invité à se conformer sont bien entendu celle que lui proposent ses parents. C’est ainsi que, par exemple, certains enfants sont invités à l’initiative et d’autres à la passivité (ces voies encouragées par les parents, consciemment ou à leur insu, ne constituant évidemment qu’un facteur parmi d’autres, puisque des influences génétiques et biologiques interviennent aussi). Mais l’enfant a en même temps un moyen pour nuancer ces identifications précocement proposées : ses jeux.

Il s’agit d’abord de ses jeux solitaires, où il mobilise des identifications sans cesse différentes. C’est lui qui invente les histoires qu’il se raconte, et, pour cela, il s’identifie alternativement à chacun des pôles des situations qu’il imagine. Par exemple, il est successivement celui qui commande et celui qui est commandé, celui qui embrasse et celui qui est embrassé, ou encore celui qui frappe et celui qui est frappé. Il apprend ainsi à explorer les possibles de son identité, cette sorte de « foyer virtuel »* auquel il est indispensable de pouvoir se référer.

Après la période du jeu solitaire, viennent tous les jeux de groupe. Et là, plus encore, l’enfant joue alternativement un rôle ou un autre, que ce soit à la crèche ou au jardin public, dans la cour de récréation ou d’immeuble, en interagissant de la voix et du geste. Il apprend aussi à adopter des rôles différents selon les situations : il est bon parfois de savoir rester calme face à une agression et bon d’autres fois d’y répondre ! C’est ainsi que les enfants expérimentent différents types de réponses sociales. Ils précisent ainsi celles qui leur conviennent le mieux mais tout en gardant la possibilité d’éprouver de l’empathie et de la proximité avec ceux qui choisissent d’incarner d’autres tendances. La répartition des rôles dans un jeu est en effet toujours moins rigide que dans la vie. Elle reste ouverte et permet aux enfants d’explorer toutes les places de manière à enrichir leur compétence sociale.

Le problème est que c’est souvent quelque chose que les parents supportent mal… Ils allument la télévision, et l’enfant, – ou les enfants s’il y en a plusieurs -, se rangent en ligne sur le canapé, l’œil rond. Et ça n’est plus du jeu !

* Levi-Strauss Cl., L’identité, Séminaire au Collège de France (1974-1975) PUF, « Quadrige », 2000.