Le tableau est constitué de six cases juxtaposées. Chacune contient à la fois le dessin d’un objet et un mot, l’un et l’autre apparemment sans lien. Il se présente donc comme un rébus énigmatique à déchiffrer[1]. J’en propose ici une interprétation, sans autre prétention que de donner un avis sur cette œuvre mystérieuse, non seulement dans la production de Magritte, mais même dans l’ensemble de la peinture. La logique du rêve a souvent été évoquée pour rendre compte des tableaux de ce peintre et, de la même façon qu’un rêve n’est pas susceptible d’une interprétation unique, une œuvre ne l’est pas non plus. Au lecteur de juger si celle que je propose ici lui parle…
La première case du tableau (en haut et à gauche) montre un œuf accompagné des  mots « l’Acacia ». L’œuf évoque l’origine, et cette idée est soulignée par l’inscription d’un nom contenant trois fois la lettre « a », qui est la première de l’alphabet. Dans la case suivante, une chaussure de femme évoque une femme réelle, tandis que l’inscription « la Lune » évoque une puissance féminine. Puis les choses semblent se compliquer. Quel rapport entre un chapeau et les mots « la Neige » ? Apparemment, aucun. Pourtant, leur association évoque une image – ou, si on préfère, un paysage mental – dans lequel nous voyons la neige tomber sur le chapeau qui protège celui qui le porte. La quatrième case qui lui fait face représente une bougie accompagnée des mots « le Plafond ». Il ne s’agit plus de « tomber », mais de « monter », l’ascension de la flamme fait suite à la chute de la neige. La case suivante (en bas et à gauche du tableau) montre un verre accompagné des mots : « l’Orage ». Quel point commun entre les deux ? Pour moi, c’est l’eau. Enfin, la dernière case (en bas et à droite) met en scène  un marteau accompagné des mots « le Désert ». C’est au dessous de cet espace que se trouve inscrit le nom de l’auteur de l’œuvre : Magritte.
Je propose maintenant au lecteur de comprendre ce rébus à six cases comme la mise en scène du traumatisme majeur que vécut Magritte à l’âge de quatorze ans et qui le hanta toute sa vie. Une nuit, sa mère disparut. On retrouva son cadavre plusieurs semaines plus tard, coincé sous un pont : elle s’était jetée dans la rivière, en chemise de nuit. « La trahison des images » me semble précisément être l’œuvre exceptionnelle qui nous parle de cet événement lui aussi exceptionnel.
Reprenons pour le comprendre la succession des cases du tableau. A l’origine de tout (première case), il y a une femme, sa mère (seconde case). Elle « tombe » (troisième case). C’est la nuit (quatrième case). Mais la juxtaposition de ces deux dernières cases évoque encore d’autres significations. Dans la religion catholique qui régnait sur les esprits à l’époque où Magritte était enfant, l’âme quitte le corps au moment de la mort – c’est-à-dire au moment où celui-ci est destiné à la « tombe » – pour s’élever vers le haut, exactement comme la flamme d’une bougie. Une bougie allumée évoque d’ailleurs la vie, comme dans le film Les trois lumières de Fritz Lang (1921). L’éteindre signifie la mort. Mais c’est justement le pouvoir de l’eau – celle du verre comme celle de l’orage – de pouvoir le faire. L’avant dernière case (en bas et à gauche) évoque alors à la fois ce qui s’oppose à la flamme-vie et les circonstances de la mort de la mère, le lieu où elle « tombe », à savoir l’eau. Elle peut évoquer aussi que la scène se serait passée une nuit d’orage (signification littérale), ou que sa mère, à ce moment-là, aurait eu un orage dans le cœur (« O rage… »). La dernière case du tableau, en bas et à droite, constitue enfin l’épilogue : le jeune Magritte plonge dans un sentiment de solitude dont il ne sortira jamais. Rappelons-nous la phrase célèbre : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Pour lui, c’est le désert. Il craint de perdre la tête, autrement dit de « devenir marteau »… Magritte n’était pas seulement un amoureux des images, mais aussi un amateur d’humour.


[1] C’est mon ami Pierre Sterckx qui m’a fait découvrir ce tableau à l’occasion d’une conférence qu’il a donnée, sur mon invitation, à l’Institut National de l’Audiovisuel le 13 mars 2012. Il nous a donné une signification partielle des quatre premières cases, que je complète en y ajoutant une interprétation possible de l’ensemble de l’oeuvre .