Marcela Iacub et Patrice Maniglier | Le Monde | 3-12-2003
Nous, qui sommes engagés dans une psychothérapie ou une psychanalyse, l’avons été ou pouvons l’être, demandons aux ” autorités sanitaires ” de bien vouloir cesser de nous protéger des charlatans.
En effet, n’étant pas encore sous tutelle, nous pensons être capables de choisir à nos propres risques nos psychanalystes ou nos psychothérapeutes, et ceux de nos enfants. Nous exigeons le retrait immédiat de l’ ” amendement Accoyer “, qui prétend, au prétexte de nous protéger de nous-mêmes et de nos démons inconscients, imposer à nos psys, qui sont parfois en exercice depuis plusieurs années, une formation de psychiatre ou de psychologue. Nous nous opposons à ce que le législateur réduise ainsi notre souffrance psychique à une maladie, et assimile nos psychothérapies à un traitement médico-psychologique plus ou moins expéditif, sans par ailleurs se prononcer sur son remboursement.
Si aujourd’hui nous souhaitons voir un psychologue ou un psychiatre, absolument rien ne nous en empêche. Mais si nous allons chez un ” psy “, ce n’est pas pour notre santé mentale – qui n’est pas plus mauvaise que ça, merci -, mais parce que nous voulons lui parler de nos soucis familiaux, amoureux, professionnels, sociaux, ou parce que nous cherchons quelque chose sur nous-mêmes aussi opaque soit-il. Nous ne croyons pas que quelques séances chez un spécialiste patenté de nos ” symptômes ” fassent l’affaire. Chagrins d’amour, deuils, inhibitions professionnelles, artistiques, sexuelles, pertes d’emplois (surtout en ce moment…), sentiments de répétition : rien de tout cela ne relève de ” la maladie “, de l’ ” autorité sanitaire “, ou du contrôle de l’État. Nous pensons qu’il vaut mieux que celui-ci renonce au projet de ” cadrer ” notre ” souffrance psychique “. Pour cela, nous préférons aller voir librement nos psys.
Certains seraient, dit-on, des charlatans – personnes qui parlent beaucoup, en espagnol. En fait, d’habitude, on les trouve plutôt trop silencieux. Pas au point, cependant, de ne pouvoir nous dire quelles études ils ont faites et quelle formation spécialisée ils ont suivie, par exemple une psychanalyse pour laquelle il n’existe aucun diplôme d’État possible. Pour la plupart, ils nous donnent l’impression d’être en formation perpétuelle : ils passent leurs soirées à des séminaires cliniques et leurs week-ends dans des colloques théoriques qu’ils organisent bénévolement dans leurs associations, où ils semblent s’examiner et s’évaluer sans cesse entre eux. Nous aimerions être sûrs qu’ils sont bien analysés, mais on ne voit pas comment un diplôme universitaire pourrait nous l’attester.
Cette loi, nous dit-on aussi, viserait à prévenir les abus sexuels. Mais en quoi un titre de psychiatre ou de psychologue nous éviterait-il de succomber au charme irrésistible d’un ” psy ” diplômé qui voudrait coucher avec nous ? En quoi ces diplômes, certes respectables à d’autres fins, nous sauveront-ils des dangers de la séduction ? Et s’il s’agit purement et simplement de viols, n’existe-t-il pas de nombreuses lois punissant les comportements ?
De même, Monsieur Accoyer écrit : ” Depuis février 2000, la mission interministérielle de lutte contre les sectes signale que certaines techniques psychothérapiques sont un outil au service de l’infiltration sectaire et elle recommande régulièrement aux autorités sanitaires de cadrer ces pratiques. Cette situation constitue un danger réel pour la santé mentale des patients et relève de la santé publique. ” Là encore, nous ne comprenons pas : si la puissante loi anti-secte n’a pas servi à endiguer, depuis bientôt trois ans, l’infiltration de ce fléau, qu’il fallait, disait-on alors, bien distinguer de la vraie religion, une loi supplémentaire, portant maintenant sur la psychothérapie, y réussira-t-elle mieux ? Nous en doutons : l’esprit de secte a l’air solide, et les autorités devraient réfléchir à ses causes. En revanche, nous constatons une tendance de plus en plus prononcée à prendre prétexte de notre ” vulnérabilité ” psychologique pour mettre en question notre capacité à agir librement. Nous ne voulons pas d’un État tutélaire qui prétend prendre en charge le bien de nos âmes. Nous posons donc la question : qui profite de notre souffrance psychique pour mieux nous imposer ses intérêts ?
Si aujourd’hui nous souhaitons voir un psychologue ou un psychiatre, absolument rien ne nous en empêche. Mais si nous allons chez un ” psy “, ce n’est pas pour notre santé mentale – qui n’est pas plus mauvaise que ça, merci -, mais parce que nous voulons lui parler de nos soucis familiaux, amoureux, professionnels, sociaux, ou parce que nous cherchons quelque chose sur nous-mêmes aussi opaque soit-il. Nous ne croyons pas que quelques séances chez un spécialiste patenté de nos ” symptômes ” fassent l’affaire. Chagrins d’amour, deuils, inhibitions professionnelles, artistiques, sexuelles, pertes d’emplois (surtout en ce moment…), sentiments de répétition : rien de tout cela ne relève de ” la maladie “, de l’ ” autorité sanitaire “, ou du contrôle de l’État. Nous pensons qu’il vaut mieux que celui-ci renonce au projet de ” cadrer ” notre ” souffrance psychique “. Pour cela, nous préférons aller voir librement nos psys.
Certains seraient, dit-on, des charlatans – personnes qui parlent beaucoup, en espagnol. En fait, d’habitude, on les trouve plutôt trop silencieux. Pas au point, cependant, de ne pouvoir nous dire quelles études ils ont faites et quelle formation spécialisée ils ont suivie, par exemple une psychanalyse pour laquelle il n’existe aucun diplôme d’État possible. Pour la plupart, ils nous donnent l’impression d’être en formation perpétuelle : ils passent leurs soirées à des séminaires cliniques et leurs week-ends dans des colloques théoriques qu’ils organisent bénévolement dans leurs associations, où ils semblent s’examiner et s’évaluer sans cesse entre eux. Nous aimerions être sûrs qu’ils sont bien analysés, mais on ne voit pas comment un diplôme universitaire pourrait nous l’attester.
Cette loi, nous dit-on aussi, viserait à prévenir les abus sexuels. Mais en quoi un titre de psychiatre ou de psychologue nous éviterait-il de succomber au charme irrésistible d’un ” psy ” diplômé qui voudrait coucher avec nous ? En quoi ces diplômes, certes respectables à d’autres fins, nous sauveront-ils des dangers de la séduction ? Et s’il s’agit purement et simplement de viols, n’existe-t-il pas de nombreuses lois punissant les comportements ?
De même, Monsieur Accoyer écrit : ” Depuis février 2000, la mission interministérielle de lutte contre les sectes signale que certaines techniques psychothérapiques sont un outil au service de l’infiltration sectaire et elle recommande régulièrement aux autorités sanitaires de cadrer ces pratiques. Cette situation constitue un danger réel pour la santé mentale des patients et relève de la santé publique. ” Là encore, nous ne comprenons pas : si la puissante loi anti-secte n’a pas servi à endiguer, depuis bientôt trois ans, l’infiltration de ce fléau, qu’il fallait, disait-on alors, bien distinguer de la vraie religion, une loi supplémentaire, portant maintenant sur la psychothérapie, y réussira-t-elle mieux ? Nous en doutons : l’esprit de secte a l’air solide, et les autorités devraient réfléchir à ses causes. En revanche, nous constatons une tendance de plus en plus prononcée à prendre prétexte de notre ” vulnérabilité ” psychologique pour mettre en question notre capacité à agir librement. Nous ne voulons pas d’un État tutélaire qui prétend prendre en charge le bien de nos âmes. Nous posons donc la question : qui profite de notre souffrance psychique pour mieux nous imposer ses intérêts ?
Premiers signataires :
Parveen Adams, Professeur à l’université de Brunell (UK) / Ali Benmakhlouf, Professeur de philosophie (UNSA, université de Nice Sophia Antipolis) / Jean et Mayotte Bollack, philologues, professeurs émérites à l’Université de Lille / Roland Castro, architecte / Marie Darrieussecq, écrivain / Guy-Félix Duportail, philosophe, Paris I / Françoise Duroux, maître de conférences à Paris VIII / Jacques Henric, écrivain / Marcela Iacub, juriste, CNRS / Christophe Khim, rédacteur en chef d’Art-Press / Michel Korinman, professeur à l’université de Marne-la-Vallée / Félix Kreissler, professeur émérite des universités / Sadi Lakhdari, professeur à la Sorbonne (Paris IV) / Eric Leroy du Cardonnoy, Maître de Conférences, Département d’Allemand, Université de Caen / Patrice Maniglier, philosophe, ENS / Régis Michel, Conservateur en chef du musée du Louvre / Catherine Malabou, Maître de conférences de philosophie à Paris X Nanterre / Catherine Millet, écrivain, directrice d’Art-Press / Patrick Pépin, directeur de la rédaction à France-Culture et France-Musiques / Jean-Michel Rabaté, Professeur de littérature anglaise (University of Pennsylvania, USA) / Sara Thornton, Maître de Conférences, UFR d’Etudes Anglophones, Université de Paris VII – Denis Diderot. / Léon Vandermeersch, sinologue, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes …
Parveen Adams, Professeur à l’université de Brunell (UK) / Ali Benmakhlouf, Professeur de philosophie (UNSA, université de Nice Sophia Antipolis) / Jean et Mayotte Bollack, philologues, professeurs émérites à l’Université de Lille / Roland Castro, architecte / Marie Darrieussecq, écrivain / Guy-Félix Duportail, philosophe, Paris I / Françoise Duroux, maître de conférences à Paris VIII / Jacques Henric, écrivain / Marcela Iacub, juriste, CNRS / Christophe Khim, rédacteur en chef d’Art-Press / Michel Korinman, professeur à l’université de Marne-la-Vallée / Félix Kreissler, professeur émérite des universités / Sadi Lakhdari, professeur à la Sorbonne (Paris IV) / Eric Leroy du Cardonnoy, Maître de Conférences, Département d’Allemand, Université de Caen / Patrice Maniglier, philosophe, ENS / Régis Michel, Conservateur en chef du musée du Louvre / Catherine Malabou, Maître de conférences de philosophie à Paris X Nanterre / Catherine Millet, écrivain, directrice d’Art-Press / Patrick Pépin, directeur de la rédaction à France-Culture et France-Musiques / Jean-Michel Rabaté, Professeur de littérature anglaise (University of Pennsylvania, USA) / Sara Thornton, Maître de Conférences, UFR d’Etudes Anglophones, Université de Paris VII – Denis Diderot. / Léon Vandermeersch, sinologue, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes …