Éric Favereau | Libération | 07-02-2007

C’est rafraîchissant. En rendant public son avis «sur la détection de certains troubles du comportement chez le très jeune enfant», le Comité national d’éthique se paye le très prestigieux Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il critique vertement l’expertise collective de l’Institut qui tendait à établir des liens entre troubles de la conduite chez l’enfant et délinquance future. Un travail qui avait provoqué, en écho, une forte mobilisation des professionnels de la petite enfance ( Libération d’hier), avec la pétition «Pas de zéro de conduite».

Choix. Ce sont d’ailleurs les auteurs de cette pétition qui ont, au printemps dernier, saisi le Comité national d’éthique. Bien leur en a pris, tant la réponse des sages leur est favorable. D’abord, l’objet même du travail de l’Inserm est remis en cause : «Il convient de souligner l’ambiguïté de la définition du "trouble des conduites" car elle tend à occulter les frontières entre pathologie et délinquance, entre démarche médicale et démarche judiciaire.» De même, le comité s’étonne du choix très particulier des experts, tous ou presque appartenant à la même école de pensée. Le comité se permet ensuite de leur donner un petit cours d’histoire de rattrapage : «La tentation de réduire, classer et hiérarchiser l’ensemble des dimensions de la complexité des comportements humains à l’aide d’une seule grille de lecture, et de s’en servir pour prédire l’avenir des personnes est une tentation ancienne. Certains pensent aujourd’hui pouvoir tout lire de l’identité et de l’avenir d’un enfant par l’étude de son comportement, de la séquence de ses gènes, ou par l’analyse en imagerie de ses activités cérébrales… L’histoire des sciences nous révèle la vanité de tenter de réduire à tel ou tel critère la détermination de l’avenir d’une personne.»

Boule de cristal. De fait le comité d’éthique suit une ligne de conduite cohérente, s’inquiétant de la place que prend la génétique dans la médecine, perçue comme une véritable boule de cristal. Les sages rappellent cette évidence : «Les facteurs de risque sociaux ou environnementaux apparaissent comme au moins aussi déterminants pour les comportements ultérieurs que les facteurs génétiques, neurobiologiques ou psychologiques individuels de l’enfant.» Mettre en avant des prédispositions génétiques risque, de plus, de mettre des enfants «à l’écart», et de les stigmatiser en les considérant «comme des enfants différents et dangereux». Très logiquement il se montre opposé à une tendance de la pédopsychiatrie qui vise à prescrire des psychotropes aux enfants trop agités. «Cette administration de médicaments psychotropes ou anxiolytiques à de jeunes enfants est une facilité à laquelle notre société se doit de ne pas céder.» Et pour ceux qui n’ont pas compris ce rappel à l’ordre, une piqûre de rappel : «La médecine doit d’abord considérer l’enfant comme un enfant en souffrance et en danger, qu’il faut accompagner, et non pas comme un enfant éventuellement dangereux, dont il faudrait protéger la société… Nous redisons notre opposition à une médecine qui serait utilisée pour protéger la société davantage que les personnes.»

Rarement, en tout cas, les sages ont pris une position aussi ferme. Dans ses recommandations finales, le comité revient sur un point particulier : la communication de données biologiques ou médicales à des représentants institutionnels, et plus généralement d’éventuelles exceptions aux règles du secret médical. «Nous y sommes opposés… Cela pourrait aboutir à stigmatiser des sujets à partir de critères dont le lien avec des comportements ultérieurs n’est pas établi.» Une position en désaccord frontale avec la loi de prévention de la délinquance de Nicolas Sarkozy, qui vient d’être adoptée en première lecture au Parlement.