Dans le virtuel, tout est indécidable : les informations que nous y trouvons, l’identité de nos interlocuteurs, et même leur présence ou leur absence au moment où nous croyons interagir avec eux – certains logiciels, dans Second life ou World of Warcraft par exemple, peuvent faire accomplir à un avatar des actions qui laissent croire qu’il est « habité » alors qu’il est en « pilotage automatique ». De même, l’usager de eBay, de Meetic ou de Second life est libre de donner à tout moment à ce qu’il voit et entend la valeur de réalité qu’il désire lui accorder. « Vérité » ou « fausseté» des propos et des identités, « présence « ou « absence » des interlocuteurs, c’est l’usager seul qui décide.

La conséquence de ce règne de l’indécidable est qu’il risque de générer un règne de l’indécision ! Pour y échapper, nos contemporains ont de plus en plus recours au mécanisme psychique décrit par Freud à la fin de sa vie sous le nom de « déni ». Il s’agit de la capacité de refuser ou d’accepter à volonté qu’une chose existe ou non.

Avoir recours au déni est évidemment un mécanisme psychique très pratique : ni bon ni mauvais en soi, il peut être mis au service de toutes les causes, les meilleures comme les pires[1]. La fréquentation d’Internet ne le fabrique pas, mais, incontestablement, invite à le banaliser et à en généraliser l’usage. Non seulement chacun peut décider de croire, ou non, à la réalité de ce qu’il voit et entend, mais aussi effacer une relation d’un simple clic, disparaître quand cela l’arrange, et ne jamais laisser de trace de ses faits et gestes.

Depuis cinquante ans, nous sommes passés insensiblement des troubles basés sur les émotions et les désirs contradictoires – avec une prévalence du refoulement – à d’autres centrés sur les failles de l’estime de soi et les processus de clivage du Moi. Les difficultés qui résultent de ces deux modes de fonctionnement ne sont pas près de disparaître, mais la pratique des espaces virtuels dessine aujourd’hui des enjeux nouveaux autour de la place du déni comme mécanisme psychique prévalent.

 

[1] Sur ce mécanisme et son importance, notamment par rapport aux traumatismes, on peut lire mon ouvrage La Résilience. (2007). Paris : PUF.