Dr Caroline Martineau | Le quotidien du médecin| 27-09-2005

 

Pourquoi ce « Livre noir », cette critique des dogmes psychanalytiques et cette mise en doute de l’efficacité de cette pratique lorsqu’elle se désigne comme thérapeutique ?

 

« Il est temps que la France affronte, à son tour, la question de la validité de la psychanalyse, écrit en introduction Catherine Meyer, responsable éditoriale du livre. L’ambition de cet ouvrage est d’offrir aux non-initiés les éléments d’un débat qui traverse notre époque. » Et parce qu’« il n’y a pas de dogme, ni de vérité révélée dans l’univers de la psychologie scientifique, de l’histoire des sciences, de la philosophie, ou de la médecine », la parole devait être donnée à des auteurs différents pour un éclairage non sectaire, pluridisciplinaire et international sur le sujet.

 

QUATRE PERSONNES ont joué un rôle décisif dans l’élaboration de l’ouvrage : Mikkel Borch-Jacobsen, danois-français-américain, philosophe et historien de la psychanalyse, Jean Cottraux, psychiatre, spécialiste des TCC, Didier Pleux, psychologue clinicien spécialiste de la petite enfance, tous deux français, Jacques Van Rillaer, belge, psychologue à l’université de Louvain, ancien psychanalyste, érudit passionné et critique de l’œuvre de Freud. Ce quatuor a proposé à une quarantaine d’auteurs d’âges, de nationalités, d’horizons et de formations très différentes de s’exprimer. Des historiens, des philosophes, des psychiatres, des psychologues connus ou moins connus : de Catherine Barthelemy à Peter Swales en passant par Tobie Nathan, Philippe Pignarre ou les Américains Aaron Beck et Albert Ellis. Le premier, psychologue, et le second, psychanalyste avant de devenir l’un des concepteurs des thérapies cognitives dans les années 1950, pourtant aussi lus que Freud à l’étranger, étaient jusqu’ici inconnus du grand public français.

Quelle place pour la psychanalyse ?
« Sigmund Freud a influencé notre manière de vivre, c’est l’évidence. La psychanalyse fait partie de notre passé. Elle façonne notre présent. Il reste à savoir dans quelle mesure elle fera aussi partie de notre avenir », note Catherine Meyer, qui savait sûrement, en assurant la coordination de ce livre, à quelles critiques elle allait s’exposer. De fait, les réactions ont été immédiates, le livre qualifié de « catalogue de la détestation antifreudienne », d’« offensive abrutissante des Lacombe Lucien de la société spectaculaire et marchande », de « feu sur Freud », entre autres qualificatifs.
Le livre est un franc succès de librairie, témoignant de ce que la France, toute baignée qu’elle est dans l’eau bénite de la psychanalyse, n’est pas indifférente à ce débat. Pourquoi de telles passions, de telles violences dans les débats sur le sujet ? C’est précisément ce qu’explique cet ouvrage collectif en racontant l’histoire de la psychanalyse, en montrant les enjeux de pouvoir qui l’ont traversée et la nourrissent encore aujourd’hui, en stigmatisant ses limites, mais aussi en soulignant celles qu’elle reproche à toutes les autres formes de thérapies s’adressant à la souffrance psychique ou à la maladie mentale au nom d’une supposée supériorité. D’où l’intérêt, et l’habileté, de la parole donnée à Tobie Nathan, ethnopsychiatre, ou à Philippe Pignarre – « On ne voit que ce que l’on appris à voir (…) Notre psychologie n’est qu’une ethnopsychologie parmi d’autres », écrit-il -, peu suspects de dogmatisme comme de soumission à la psychiatrie dite biologique.
L’ouvrage commence par « La face cachée de l’histoire freudienne », se poursuit avec « Pourquoi la psychanalyse a-t-elle eu un tel succès ? », « La psychanalyse et ses impasses », et se termine par un chapitre consacré à la « Vie après Freud », après avoir abordé le thème des « Victimes de la psychanalyse ». Des formules provocatrices et parfois assassines voisinent avec de passionnants développements sur que ce prétend guérir la psychanalyse, sur sa manière de le faire, sur son affirmation de l’existence d’un sens caché qu’elle seule peut débusquer, sur son caractère totalitaire parce que se prétendant seule à détenir la vérité. La psychologue Violaine Guéritault évoque les dégâts causés par la culpabilisation des mères en général et des mères de schizophrène en particulier ; Catherine Barthelemy, pédopsychiatre, les théories actuelles sur les causes de l’autisme et le caractère toxique de la désignation de la pathogénicité maternelle par la psychanalyse.

Remettre les dogmes en question.
« En France, la critique de la psychanalyse est encore largement taboue, écrit Catherine Meyer ; les grandes figures des années 1970 (Dolto, Bettelheim, Lacan) restent des références incontestées, parfois même des mythes. » D’où le choix affiché de briser la loi du psychanalytiquement correct en parlant des « mythes et légendes de la psychanalyse », en désignant comme victimes historiques Emma Eckstein ou Horace Frinck, patients de Freud, en contestant la valeur actuelle des fondements théoriques de la psychanalyse, en s’interrogeant sur sa place dominante dans l’éducation, dans le langage courant des médias et dans l’univers de la santé mentale (sur 13 000 psychiatres, 70 % pratiqueraient la psychanalyse ou des thérapies d’inspiration psychanalytique et les facultés de psychologie se réclament très majoritairement de cette obédience).
La remise en question est bien radicale et partagée par l’ensemble des auteurs. Il n’en demeure pas moins que la variété des contributions, la diversité des angles de vue, tantôt purement cliniques, historiques ou épistémologiques, font tout l’intérêt de cet ouvrage au titre provocateur. Ce caractère composite ne nuit pas plus à la cohérence qu’il n’offre une approche dispersée et simpliste de la question. Il ne s’agit pas de condamner la psychanalyse lorsqu’elle cherche à stimuler la conscience de soi, mais de montrer qu’elle n’est pas la seule à proposer cette approche, comme le soulignent Didier Pleux et Albert Ellis, de dénoncer son caractère totalitaire lorsqu’elle s’érige en pensée unique.
Jean Cottraux raconte en quoi l’implantation de la psychanalyse en France, sa prise de pouvoir est superposable à l’histoire d’une génération, celles des années 1960 et de l’après-68, et montre avec finesse comment, aujourd’hui, en refusant toute remise en cause, la psychanalyse se retrouve du côté des « réactionnaires » qu’elle abhorrait hier. Son récit plein d’humour et d’ironie complète son chapitre sur les vertus thérapeutiques de la psychanalyse, « La psychanalyse soigne-t-elle ? », et permet de mieux comprendre la récente censure du rapport Inserm sur l’évaluation des psychothérapies, censure demandée par les psychanalystes et exigée par le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Douste-Blazy.
Albert Ellis, l’un des concepteurs des thérapies cognitives, âgé aujourd’hui de 92 ans, appelle de ses vœux un dialogue entre freudiens et non-freudiens. « Je ne peux pas croire, même si je conteste beaucoup d’affirmations de la psychanalyse, que des praticiens, des spécialistes à l’écoute de l’humain depuis des décennies n’ont pas des choses à nous dire et à nous apprendre. J’attends cette dispute avec hâte, je ne voudrais pas me figer dans des hypothèses cognitives, si séduisantes puissent-elles être. » La suite dans quelques mois ?

 

« Le Livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud », Les Editions des Arènes, 824 pages, 29,80 euros.