Freud a dit quelque part qu’il ne pensait pas que la plupart des psychanalyses aillent si loin qu’elles amènent les analys(ants)és à modifier leurs croyances ou leur incroyance religieuse.

 Il y a donc des analysés et des analystes de presque toutes les religions ou sectes existantes et , parmi eux, des analystes qui croient aux fantômes des traditions populaires internationales. Il semble tout de même que l’athéisme soit plus répandu chez les disciples de Freud, comme chez ceux de Marx, que dans l’ensemble de la population. Toutefois, Eric Fromm a bien montré que beaucoup de pionniers de la psychanalyse aux côtés de Freud étaient des hommes sans conviction religieuse ni politique qui sont entrés dans le mouvement psychanalytique comme dans une religion, d’où toute une organisation hiérarchique religieuse avec des “évêques” et, parfois, “un pape” officiel ou secret.

 

Nicolas Abraham, Maria Torok et le groupe informel de leurs disciples parmi lesquels je me compte ne croyons pas aux fantômes ni aux revenants des traditions populaires mais nous pensons qu’il y a une part de vérité psychologique dans la croyance aux fantômes qui remonte à l’Antiquité.

 

Les Anciens, tout comme beaucoup de nos collègues psychanalystes, ne faisaient pas la différence entre les “mal morts” qui reviennent hanter leurs proches (soit parce que le mort a commis un crime , soit qu’il en a été victime soit qu’il n’a pas bénéficié de l’enterrement rituel) et les influences trans-générationnelles pathogènes sur les enfants et les petits-enfants de parents et de grands-parents restés captifs d’un secret inavouable. Dans le premier cas, il s’agit d’un deuil personnel, difficile, voire impossible sans aide. Dans le second cas, le Fantôme, au sens psychanalytique, auquel il convient de mettre la majuscule , n’est pas un retour direct du passé, c’est une construction psychique de l’enfant pour tenter de comprendre et de soigner la difficulté qu’il ressent chez ses parents sans doute avec l’espoir d’en être à son tour mieux compris et soigné. Parfois, le descendant a une conduite qui paraît réincarner l’ancêtre problématique et c’est ce qui fait croire au retour du passé mais, tout aussi souvent, l’enfant s’impose des restrictions de vie de manière à ne pas risquer de donner à vivre à ses parents des événements qui pourraient entrer en résonance avec le malheur passé.

 

La question des Fantômes (psychiques) ne concerne pas que les individus et les familles, elle concerne aussi les communautés, les nations et l’humanité. Comme l’écrivait Bruno Bettelheim à propos de la Shoah, “….ce dont on ne peut parler, c’est aussi ce qu’on ne peut apaiser; et si on ne l’apaise pas, les blessures continuent à s’ulcérer de génération en génération …”. En fait, je pense qu’après cent ans même les plus grands drames sombrent dans l’oubli. Mais c’est une perte pour chacun, et pour toute l’humanité, chaque fois que la leçon d’une erreur, d’une faute et, à plus forte raison, d’un crime, n’est pas tirée avec le risque qu’il se répète plus tard, ailleurs, au détriment d’autres groupes humains.
La question des Fantômes psychiques concerne aussi chaque psychanalyste et la psychanalyse1. La position de la psychanalyse est difficile dans le monde dans la mesure où elle touche à l’une des racines des problèmes humains et que tous sont partagés entre le désir d’analyser ce qui les meut profondément et le désir inverse de vivre et d’agir sans en rien savoir. Cela doit nous conduire à la discrétion. Nous traversons une époque où le capital financier veut se soumettre toute l’humanité, dans ce contexte, comme l’avait prédit Romain Gary dans “Charge d’âme”, l’âme est un déchet qu’il conviendrait d’éliminer, à commencer par ceux qui s’y intéressent . En ce sens , il est important que ceux qui partagent une foi religieuse sachent que le psychanalyste, fut-il athée , partage avec eux la valorisation du lien interhumain et que nous devons unir nos forces pour faire reculer l’inhumain dans nos sociétés et toutes nos institutions.

Amiens, le 17 octobre 2005