Psychodrame au Parlement ou à Beyrouth, titrent les journaux… Contrairement, à ce que véhiculent les médias, le psychodrame est une méthode psychothérapeutique qui n’a rien de dramatique. Tout commence même par une histoire d’enfants :

 

Un beau dimanche de 1896 quelques enfants de 4-5 ans jouent sagement dans un jardin de Vienne… L’un d’eux, le petit Jacob-Lévy propose de jouer à « Dieu et ses Anges » – « D’accord » disent les autres, mais qui va jouer Dieu? – « Moi », dit le petit Jacob-Lévy en montant sur une construction de chaises … qui s’écroula tout aussitôt. Voilà le petit Jacob-Lévy Moreno avec un bras cassé et un compte à régler avec Dieu et les limites de l’imaginaire… Quelques dizaines d’années plus tard il inventa son théâtre de la spontanéité, le psychodrame.
À peu près au même moment (en 1898), dans cette même Vienne, un respectable Docteur s’intéresse à ses rêves et découvre en association à l’un d’eux, un souvenir d’enfance refoulé dans lequel, il jouait Brutus devant un parterre d’enfants. Ce souvenir de Freud, comme tant d’autres, lui servira pour expliquer la levée du refoulement par le travail associatif et interprétatif.
Voilà donc deux souvenirs d’enfance et surtout deux démarches bien différentes. L’un veut vivre son rêve, l’autre en trouver le sens et le désir inconscient. Cette même différence se retrouvera quelques années plus tard, lorsque Moreno dit à Freud : «  Je commence là où vous finissez (…) Vous analysez leurs rêves, j’essaie de leur donner le courage de rêver encore. J’apprends aux gens comment on joue à Dieu »
Comme on peut le percevoir, la rencontre entre le psychodrame et la psychanalyse ne fut pas évidente ; il fallut attendre les années 1960 pour que de courageux et inventifs psychanalystes transforment la technique de Moreno en psychodrame psychanalytique.
Le psychodrame psychanalytique, donc, en ce qui concerne mon propos, est une forme de psychothérapie qui par sa « dramatisation » (en grec, drama, fait référence au théâtre), son utilisation du jeu, ses références explicites au corps et à la mise en mouvement permet l’élucidation et le traitement de certains processus psychiques difficilement accessibles autrement.
Aujourd’hui, les indications de psychodrame sont nombreuses. Elles concernent les adultes, le plus souvent ceux qui ont des difficultés de mentalisation, de représentation et de verbalisation de leur problématique, et/ou qui éprouvent des difficultés relationnelles dans les groupes. Les premiers psychodrames thérapeutiques ont été créés par des psychanalystes d’enfants et ce dispositif est toujours fréquemment utilisé pour soigner les enfants et les adolescents.
Le psychodrame est proposé au patient, soit, comme seul dispositif thérapeutique, soit en complément à une thérapie individuelle ou une psychanalyse.
De manière schématique, il existe trois grands « types » de psychodrame :
Le psychodrame individuel
Un patient, un psychodramatiste et plusieurs  co-thérapeutes  se retrouvent, généralement une fois par semaine, pendant une demi-heure. Le patient est invité à représenter, par le jeu, des scènes vécues, en sachant qu’il peut tout jouer : personnages, idées, émotions, rêves, animaux, objets… Le psychodramatiste ne joue pas, mais prend en charge le déroulement de la séance, les co-thérapeutes jouent aussi, soit à la demande du patient soit à celle du psychodramatiste.
Comme dans n’importe quelle séance d‘analyse, le patient dit ce qui lui passe par la tête, puis, avec l’aide du psychodramatiste, il met scène une de ses évocations et distribue les rôles. Le patient et les acteurs jouent, bougent, esquissent des gestes en restant dans le registre de la représentation, donc en faisant « comme si ». Les jeux s’enchaînent les uns aux autres en fonction des associations qu’ils suscitent, tant chez le patient que chez le meneur de jeu. L’essentiel des interprétations se fait par le jeu, mais elles se font aussi, comme dans une cure classique, sous la forme d’interprétations verbales.
Ce psychodrame est dit « individuel » car il s’adresse chaque fois à un patient singulier, néanmoins on peut considérer que, comme dans tout psychodrame, s’y travaille quelque chose de groupal puisqu’il fait appel à un groupe de thérapeutes.
Le psychodrame en groupe
– Soit, travaillant avec la même technique et le même dispositif que le psychodrame individuel, existe aussi un psychodrame « individuel en groupe », il s’adresse alors à plusieurs patients. Chaque patient décide à son tour de son propre jeu, mais les autres peuvent recevoir un rôle.
– Soit, deux psychodramatistes travaillent avec un groupe de patients. Les psychodramatistes proposent des inversions de rôles, des doublages ou d’autres techniques psychodramatiques, mais, généralement ne jouent pas de rôles.
L’enchaînement des scènes des uns et des autres a souvent une valeur associative groupale, mais, dans ces dispositifs, l’attention des psychodramatistes et ses interprétations restent plus individuelles que groupales. Le groupe, ici, fonctionne comme caisse de résonance et non comme moteur du travail.
 Le psychodrame de groupe
Au départ des travaux sur les groupes et des phénomènes psychiques dans les groupes, certains psychanalystes ont articulé « analyse de groupe » et jeux psychodramatiques pour créer le psychodrame psychanalytique de groupe.

 

Celui-ci propose aux patients un processus thérapeutique en groupe en présence de deux psychodramatistes.

 

La méthode est, ici, pour les patients de construire, ensemble, un scénario imaginaire au départ des différents thèmes amenés par eux en début de séance. Ce scénario sera, dans un second temps, joué par ceux qui le souhaitent, les psychodramatistes pouvant également jouer. Dans un troisième temps, chacun, qu’il ait joué ou non, est invité à dire ce qu’il a pensé et ressenti pendant le jeu. Dans ce dispositif, l’essentiel des interprétations se fait dans le jeu et par le jeu des psychodramatistes, mais aussi, sous la forme d’interprétations verbales.

 

Il s’agit d’un travail d’élaboration autant de la problématique individuelle de chaque patient que des phénomènes psychiques groupaux qui s’y développent, du fait notamment de la pluralité des personnes réunies.

Tous ces dispositifs permettent, en tout cas, un réel travail psychanalytique, même s’ils paraissent bien différents de la « cure » sur le divan.
De plus, le psychodrame est et reste, pour moi, une voie de recherche et une des pratiques de la psychanalyse qui m’aide à suivre le conseil de J.-B. Pontalis : « Ne croyez pas en la psychanalyse, mais fiez-vous sans réserve à la force d’attraction qu’elle exerce sur vous, à son pouvoir d’animer, d’aimanter le mouvement de la pensée. »
Bruxelles, le 12 février 2006