Comme l’an dernier, j’irai bientôt passer quelques semaines dans un petit village italien. Des amis m’en vantaient les avantages depuis longtemps avec photos à l’appui, mais j’avais toujours hésité à m’y rendre. J’y pense aujourd’hui et, curieusement, les premières images qui me viennent à l’esprit sont celles que j’en avais imaginé quand mes amis m’en parlaient. Je les remplace évidemment bien vite par le souvenir des moments que j’y ai réellement vécus, mais ces images ne se laissent pas chasser si facilement. Elles reviennent toujours et se mêlent aux autres. En fait, j’ai trouvé l’endroit beaucoup plus attrayant que je ne l’avais imaginé quand mes amis m’en parlaient. Ils mettaient en avant ce qui correspondait à leurs attentes et à leurs désirs, et qui ne correspondaient pas forcément aux miens. Le problème est que je ne peux pas m’empêcher de continuer à imaginer ce lieu à travers leurs yeux. Il faudra sans doute que j’y retourne plusieurs fois pour chasser ces faux souvenirs.
Depuis Freud, nous nous sommes familiarisés avec l’idée qu’un événement désiré et imaginé peut être confondu avec le souvenir d’un événement réellement vécu. Nous sommes aujourd’hui obligés de faire un pas de plus : un événement qui nous est raconté à travers le prisme du désir d’un autre peut produire chez nous des représentations qu’il nous sera ensuite difficile de distinguer de celles que nous nous serons formées dans une situation semblable. Et cette source de confusion sera encore plus grande lorsque l’événement ne nous aura pas été seulement raconté, mais mis en scène sous nos yeux à travers des images. Autrement dit, nos souvenirs se nourrissent à trois sources : nos expériences réelles, nos fantasmes de désir et les représentations de nos proches. Ces trois sources ne sont pas juxtaposées, mais étroitement intriquées. C’est pourquoi nous pouvons prendre un fantasme de désir pour le souvenir d’un événement vécu, comme nous l’a montré Freud, mais aussi confondre le souvenir d’un autre avec un souvenir personnel. C’est un aspect, parmi d’autres, de la psychanalyse des liens. Elle est appelée, dans un avenir proche, à compléter celle que nous connaissons aujourd’hui.